Un projet de la Commission européenne tente d'imposer le nucléaire comme "énergie verte"
Par admin le mercredi 5 janvier 2022, 09:00 - International - Lien permanent
La Commission Européenne a décidé de ne pas tenir compte des
recommandations des experts indépendants qui la conseillaient (1) pour
la mise en place de sa « taxonomie verte » (classification encourageant
les investissements favorables aux objectifs environnementaux
bénéficiant alors d'avantages financiers). Elle vient d’envoyer aux
Etats membres, le 31 décembre 2021 peu avant minuit, un projet
d’inclusion de l’énergie nucléaire et du gaz dans cette taxonomie (2).
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La proposition de texte, encore provisoire, semble fixer quelques conditions notamment une limitation dans le temps des projets nucléaires pouvant bénéficier d’un accès à des financements avantageux mais c'est un écran de fumée :
. les projets de construction de nouvelles centrales atomiques pourront avoir obtenu un permis de construire jusqu'en 2045 soit 23 années de possibilités offertes au lobby nucléaire pour manoeuvrer et imposer au pays des implantations de nouveaux réacteurs de destruction de l'atome;
. les travaux permettant de prolonger la durée de vie des centrales existantes pourront être autorisés jusqu'en 2040 soit encore 28 années.
Des garanties en matière de traitement des déchets et de démantèlement des installations nucléaires en fin de vie seraient exigées mais sans imposer le renoncement à polluer la terre et à menacer les populations par l'enfouissement des déchets radioactifs mortels.
Cette proposition de texte, dictée à n’en pas douter par le lobby nucléaire européen et par le gouvernement français, n’est pas acceptable ni actuellement ni pour les générations futures. D'autant que l’énergie nucléaire nuit notamment considérablement à chacun des six objectifs environnementaux que l’Union Européenne s'est fixés :
- Atténuation du changement climatique : les deux-tiers de l'énergie utilisée par les centrales nucléaires est rejetée dans les fleuves, les mers et l’atmosphère qu’elle réchauffe significativement.
- Adaptation au changement climatique : incendies, sécheresses, inondations menacent les centrales nucléaires situées en bord de mer ou de rivières pour leur refroidissement.
- Utilisation soutenable de l’eau et des ressources marines : l’industrie nucléaire utilise d’énormes quantités d'eau qu'elle accapare, réchauffe et contamine durablement par des effluents radioactifs et chimiques.
- Économie circulaire : la fission nucléaire de l’uranium produit des éléments radioactifs qui n’existent pas dans la nature et qui deviennent des déchets ingérables ; le nucléaire, militaire et civil, produit des catastrophes, détruit des vies humaines et de la valeur économique.
- Prévention des pollutions : l’industrie nucléaire a besoin d’autorisations de rejets d’effluents radioactifs et chimiques, qui sont de véritables droits de polluer.
- Écosystèmes en bonne santé : le nucléaire est un facteur de détérioration de la santé et d’altération du génome, non seulement pour les travailleurs de cette industrie mais aussi pour la population dans son ensemble et pour tous les organismes vivants.
La construction de nouveaux réacteurs atomiques et la prolongation du fonctionnement de ceux qui existent, ne sont pas acceptables pour toutes ces raisons (et d'autres telles l'exploitation colonialiste des gisements à l'étranger et les contaminations/pollutions radioactives des territoires et populations locales), pour les dangers majeurs auxquels ils soumettent les populations européennes et pour les raisons spécifiques à chaque projet spécifique.
Ils ne doivent pas être facilités par de nouveaux avantages indus liés à l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte européenne.
Il devient urgent non seulement de continuer à s’opposer fermement à ce projet et à toute politique qui, sous couvert de visée écologique, inclurait le nucléaire (3). Mais également à trouver et mettre en oeuvre des formes d'interventions qui empêchent ces mauvais coups contre le vivant.
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1 https://www.elseurope.eu/event/europ-es-science
2 https://www.lesechos.fr/monde/europe/bruxelles-devoile-un-projet-de-label-vert-pour-le-gaz-et-le-nucleaire-1375922
3 En ce moment : pétition européenne « Sauvons la transition énergétique
de l'Europe - arrêtez le greenwashing du nucléaire et du gaz ! »,
destinée à la Présidente de la Commission Européenne, Ursula von der
Leyen : https://chng.it/mRYYWqfYW8 et cyberaction française destinée à
la Présidente de la Commission Européenne :
https://www.cyberacteurs.org/cyberactions/stopyalintox-halteauxfakenewsnuclyn-5019.html
Commentaires
Deux anciens chefs de la sûreté nucléaire contestent la pertinence de l'atome comme réponse au climat.
Greg Jaczko, ancien président de la Commission de réglementation nucléaire des États-Unis,
et Wolfgang Renneberg, ancien chef de la sûreté des réacteurs, de la radioprotection et des déchets nucléaires en Allemagne,
responsables de haut niveau soutiennent que « pour apporter une contribution pertinente à la production mondiale d'électricité, jusqu'à plus de dix mille nouveaux réacteurs seraient nécessaires, selon le type de réacteurs ».
Ils soulignent que le nucléaire est « plus cher que les énergies renouvelables en termes de production d'énergie et de réduction des émissions de CO2, même en tenant compte des coûts des outils de gestion du réseau comme le stockage d'énergie ».
Ils affirment que le nucléaire en tant que stratégie contre le changement climatique est « trop lourd et complexe pour créer un régime industriel efficace pour les processus de construction et d'exploitation des réacteurs dans le délai de construction prévu et la portée nécessaire à l'atténuation du changement climatique ».
Outre les problèmes techniques et de sécurité non résolus « associés à de nouveaux concepts non éprouvés », « il est peu probable qu'il apporte une contribution pertinente à l'atténuation du changement climatique nécessaire d'ici les années 2030 en raison des délais de développement et de construction extrêmement longs du nucléaire et des coûts de construction écrasants du très grand volume de réacteurs qui seraient nécessaires pour faire la différence », estiment Greg Jaczko et Wolfgang Renneberg, appuyés par Bernard Laponche, ancien directeur général de l'Agence française pour la maîtrise de l'énergie (AFME, ancêtre de l'Ademe), et Paul Dorfman, secrétaire du comité du gouvernement britannique CERRIE (Committee Examining Radiation Risks of Internal Emitters), comité examinant les risques de radiation des sources d'émission internes au pays.
A l’occasion d’une rencontre, à Amiens, des ministres de l’environnement européens, vendredi 21 janvier, le Luxembourg et l’Autriche ont réaffirmé leur opposition à l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie et rappelé leur intention, si le texte ne devait pas évoluer, de saisir la Cour de justice de l’UE.
La veille, Vienne et Luxembourg avaient publié une lettre avec Copenhague et Madrid, dans laquelle ils demandent à la Commission de revenir sur son projet d’accorder au gaz et au nucléaire un label vert, même à titre transitoire.
Le nucléaire n’est « pas une énergie verte » ni « durable », a néanmoins affirmé, à Amiens, jeudi, le secrétaire d’Etat allemand Stefan Tidow