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Trois mois. C'est le temps qu'il aura fallu à la division de Lyon de l'ASN pour rendre publique ce 22 décembre 2021 (et adresser à la Direction de EDF-Tricastin) les constatations et demandes correctives d'une inspection inopinée menée le 29 septembre 2021 sur un sujet non-négligeable : la gestion de potentiels déversements accidentels de substances radioactives ou chimiques dangereuses sur le site nucléaire du Tricastin, et notamment dans le périmètre des réacteurs atomiques 1 et 2  (INB 87 et 88) .

La mise en situation (1) du 29 septembre dernier simulait un accident sur un camion-citerne de 20 m3 de soude venant ravitailler la station de déminéralisation du site nucléaire. Alors que de fortes pluies s'abattent sur le secteur, une fuite (non isolable) avec déversement sur la chaussée touche la citerne en train de circuler sur une des routes internes du site de la centrale nucléaire EDF.
 
L'impossibilité d'empêcher des atteintes à l’environnement à cause de délais de réaction beaucoup trop longs
 
2021-09-29_deformation_le-temps-qui-passe.jpgSi les différents intervenants participant à l’exercice semblent avoir eu globalement de bons réflexes et de premiers gestes adaptés à la gestion de la situation sur le terrain ou en salle de commande et au poste de commandement direction (PCD1) puis dans le bâtiment de sécurité (BDS), l'inspection a mis en évidence : des dysfonctionnements et des délais de mise en oeuvre des dispositions adaptées beaucoup trop longs qui ont conduit à l'impossibilité d'empêcher les atteintes à l’environnement. Bien que le site dispose a-priori des équipements et consignes d’organisation prévus pour ce type de situation accidentelle.
 
Ainsi l’équipe de "levée de doute" n’est arrivée que 15 minutes après l’alerte (appel témoin) et n’a pu commencer à déployer le "kit pollution" que 20 minutes après le début de la simulation. Motif : aucun kit anti-pollution n'était disponible sur la voirie puis, le kit enfin disponible, lorsqu'un intervenant à voulu passer sa paire de gant celle-ci était périmée et s'est déchirée. Parallèlement il fallu attendre 30 minutes après le début de l'alerte pour débrocher les pompes de relevage des fosses (SEO) délais qui n’aurait pas permis de prévenir tout rejet dans l’environnement.  Et 49 minutes après le début de l'alerte le plan d’appui et de mobilisation (PAM) pollution et environnement qui est censé rameuter du monde et des moyens n'était toujours pas activé. Tranquilou mon frère, on se concerte et on réuni le matos.
 
Ké za ko ? allo papa bobo ! coupez pas...

2021-09-29_plaque-conforme-transport-citerne-danger.gifFace au camion en péril, à la fuite et au déversement sur la chaussée de la soude on se gratte la tête : ni les agents de terrain ni les équipes en charge de la gestion de l'accident ne sont en mesure de déchiffrer l’affichage réglementaire du camion (plaque « ADR ») et faire ainsi le lien entre le numéro "ONU" affiché et le produit contenu. Du beurre de cacahuètes bio ou des toxiques mortels? Cette information n’a finalement  été trouvée qu’environ deux heures après le début de l’exercice, et par des moyens détournés : sur internet et grâce au téléphone portable personnel d'un intervenant.Du grand art!
 
SEO: on relève? on descend? on balance ou pas ?
 
Alors que les alarmes de niveau « seuil haut » des fosses SEO hurlent et que l’alerte est donnée au Poste de Commandement (PCD2) : une inondation commence à se répandre. Les intervenants prennent la décision de ne pas rejeter les effluents pollués dans le réseau SEO (2) au risque que la pluie inonde la plateforme du site. Or les consignes nationales EDF a respecter préconisent la remise en service des pompes de relevage des fosses SEO pour prévenir le risque d’inondation interne et balancer le tout vers le réseau d'eau pluviale, effluents pollués ou pas. Eh oui ce qu'il y a d'incontournable avec le nucléaire c'est que soit on fait monter en puissance le risque de catastrophe sur un site atomique soit on balance dans l'environnement les saloperies. Alors qu'elle stratégie pourrait être la bonne? On en discute, on en discute et on vous dira cela "l'an que ven"*. Et arrêter définitivement ces installations mortifères ce ne serait pas la plus logique et sécure?
 

Le camion du Poste de Commandement risque la panne... électrique

Lorsque le camion de poste de commandement (PCOM) est arrivé sur place, les équipes ont tenté de brancher le camion sur le secteur via une rallonge électrique. Cette rallonge présentait des dégradations avancées pouvant potentiellement créer un court-circuit ou électrocuter l'intervenant ou ne pas alimenter le camion en électricité. L'énergie c'est un métier.

2021-09-29_voyant-batterie-camion-voiture.gifDu côté de l’indicateur de niveau de la batterie présent en haut à droite de la porte du camion et qui sert à alimenter les équipements de crise (dont l'entrée dans le poste de commandement) ce n'était pas mieux : le voyant indiquait un niveau bas. Au point que sans apport extérieur d'électricité il aurait fallu choisir quel équipement alimenter, l'ordinateur, la liaison radio, les autres appareillages ou bien peut-être l'allume-cigare? A moins que ce ne fut le capteur des batteries qui était défaillant. Allez savoir...

Et pendant ce temps là... à l'extérieur du côté des autorités on ne sait toujours rien

La mise en oeuvre des actions de gestion de la situation dans un autre centre stratégique (BDS) n'a pas été non plus au top : de nombreux ordinateurs du centre ont nécessité une mise à jour logiciel rendant les ordinateurs indisponibles pendant une vingtaine de minutes. Les numéros et codes de déclenchement de l’alerte générale étaient introuvables par le Poste de Commandement (PCD 1) et leur recherche a fait perdre encore 20 précieuses minutes. Les numéros d’appel d’urgence des institutions à alerter en cas d'urgence n’étaient pas mentionnés , seul figurait le numéro de leurs standards respectifs. Ainsi pour l’Agence Régionale de Santé (ARS), la Direction régionale de l'Environnement et de l'Aménagement (DREAL), la Préfecture, l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN).  Encore une perte de temps précieuse pour trouver les bons numéros et avoir enfin en ligne les interlocuteur institutionnels adaptés.
 
Deux mondes à part : d'un côté les intérêts particuliers d'une corporation qui se tient par la barbichette et de l'autre le bien public

L'ASN, sensible comme on le sait à ne pas froisser la nucléocratie dont elle fait partie, écrit au directeur du site nucléaire EDF : "considérant les difficultés et les délais observés...  quelques mètres cubes de soude auraient potentiellement atteint l’environnement en cas de situation réelle et le reste du camion aurait été contenu dans le réseau SEO... Le déroulement de l’exercice devra donc être ré-analysé, à froid, pour identifier les dysfonctionnements et mettre en oeuvre des actions correctives permettant notamment d’isoler plus rapidement les réseaux de collecte internes au site." Pas plus, d'autant que l'ASN accorde 2 mois à EDF pour faire part de ses remarques et éventuel planning à venir de remise dans les clous de tout ce bordel.

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* terme provençal signifiant "l'année prochaine"
(1) http://www.coordination-antinucleaire-sudest.net/2012/public/pdf/Tricastin_ASN/2021-09-29_Tricastin_INSSN-LYO-2021-0937_Prevention%20-pollutions_maitrise-nuisances.pdf
(2) réseau d'acheminement des effluents provenant du ruissellement des eaux pluviales