La fin du nucléaire par manque d'eau ? : l'exemple du Tricastin
Par admin le dimanche 18 juillet 2021, 10:29 - Tricastin - Lien permanent
Négationniste des réalités sanitaires et climatiques, le nucléaire est un ogre dévoreur d'eau pour faire tourner ses réacteurs qui ont un besoin continu de cette ressource pour se refroidir. Or le dérèglement climatique, qu'il soit d'origine du cycle naturel ou/et découlant du productivisme forcené des sociétés humaines, conduit à une diminution de l'eau. Déjà les sécheresses et baisses récurentes de débit imposent, comme au long du Rhône, la mise à l'arrêt de réacteurs atomiques, tel au Tricastin (Drôme-Vaucluse) ou à Cruas (Ardèche). Une situation qui place encore une fois cette industrie du passé le dos au mur et en concurrence avec les autres usagers de l'eau : agriculteurs, entreprises, particuliers, usagers des voies navigables.
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Sans eau pas de nucléaire. Cette réalité est implacable pour une industrie qui n'a eu de cesse que de voler en permanence le bien commun de l'eau. Car pour fonctionner, un réacteur nucléaire a besoin d’eau froide, de beaucoup d'eau froide pour se refroidir en permanence afin d'éviter l'emballement de la réaction atomique d'une part et d'autre part d'apporter l'eau à transformer en vapeur pour faire tourner les turbines de production d'électricité [1]. Un débit trop faible ou une température trop élevée en amont des réacteurs atomiques ne permettent pas au circuit de refroidissement de refroidir le circuit dit secondaire tandis que les rejets d'eau surchauffée contenant toxiques et radioactivité en aval des réacteurs ne se diluent plus suffisamment.
Le Rhône mal en point à cause du nucléaire
L’essentiel des indisponibilités nucléaires en Europe ont eu lieu en vallée du Rhône, à cause des centrales en circuit ouvert (2), qui ont besoin de prélever beaucoup d'eau. Autant dire que la filière nucléaire à du mal à encaisser les évolutions et à déglutir le changement climatique.
Une rivière avec un débit plus faible se réchauffe plus vite conduisant à faire voler en éclats les seuils réglementaires de température en aval. Selon les prévisions de l'entreprise
Callendar spécialisée dans l’évaluation des risques climatiques et son outil
d’anticipation des risques pour 2021, il suffirait d’un court épisode de canicule en
fin d’été pour rendre indisponible jusqu’à 5 GW de puissance nucléaire correspondant à pas moins de 8 % de production du parc nucléaire actuel. Le nucléaire n'est pas si pilotable que cela malgré les dires de la nucléocratie.
Tant que les débits faibles se produisent quand la consommation est faible à l’échelle nationale, tel en été, les baisses de production nucléaire n’ont d’effet que sur les marchés financiers spéculatifs de l’électricité, peu sur le réseau et les consommateurs, alors des canicules plus précoces ou tardives posent problèmes selon RTE (Réseau Transport Electrique, filiale EDF). Des spécialistes (Nature Energy) évaluent entre 0,8 et 1,4 % la perte annuelle mondiale sur la production nucléaire d’ici quarante ans, et de 1,4 à 2,4 % au niveau mondial à la fin du siècle, du fait du changement climatique.
Et ce n'est pas le plan « grands chauds » concocté par EDF qui parera au problème, car seuls les impacts des pics de canicule ou de sécheresse concerne les bâtiments et locaux : climatisation renforcée, utilisation de matériaux plus résistants aux fortes chaleur, optimisation des systèmes d’aéroréfrigérant. Autant de mesurettes de façade qui n’empêchent pas que l’eau des fleuves se réchauffe et se raréfie en période sèche.
Le nucléaire a fait main basse sur l'eau commune
Dès son origine, le nucléaire militaro-civil d'Etat (la bombe atomique et les réacteurs nucléaires producteurs du plutonium et du tritium qui lui sont nécessaires) ont fait main basse sur d'immense volumes d'eau disponibles soit le long des fleuves soit en bord de mer. Raison d'Etat.
Mais aujourd'hui, encore plus qu'hier, le débit des cours d’eau est chaotique non seulement en été mais de plus en plus tout au long de l'année du fait d'évènements climatiques extrêmes (canicules, sécheresses, pluie diluviennes,...). Problème majeur incontournable pour l'industrie nucléaire. Et cela va durer. Et les rejets liquides des centrales nucléaires (qui entraînent évaporation et gaz à effet de serre, détérioration de la faune et de la flore aquatique) relèvent d'une réglementation limitante de l'augmentation de la température de l'eau en aval des installations nucléaires. Equation insoluble pour les amoureux de la destruction atomique. C'est la possibilité de produire de l’électricité par le nucléaire qui est remise en cause.
Il faut 150 à 180 litres pour faire produire un mégawattheure d’électricité par une centrale nucléaire en circuit ouvert. Si cette eau est relâchée ensuite en aval en augmentant significativement la température de l'eau, 0,3 litre vont s’évaporer en générer des gaz à effet de serre. Une centrale en circuit fermé, avec des tours aéroréfrigérantes, va avoir besoin de moins d’eau en amont, 6 à 8 litres, mais 2,4 et 3,2 litres soit 40 % de cette eau s'évaporera sous forme de vapeur d'eau (gaz à effet de serre).
Sur 56 réacteurs en activité, la France compte 30 réacteurs en circuit fermé, 26 en circuit ouvert, dont 14 en bord de mer et 12 sur des fleuves tels ceux du Tricastin. Au total, le nucléaire représente la moitié des prélèvements d’eau de surface du pays puis relâchement partiel, selon les données du ministère de la Transition écologique. L’énergie - à 94 % le nucléaire - représente 22 % de la consommation annuelle globale d’eau de surface, soit le troisième poste derrière les consommations domestiques (24 %) et l’irrigation (48 %).
Des millions de mètres cubes d’eau détournés
Ce besoin permanent en eau froide des installations atomiques a été momentanément résolu par la force et la construction de barrages et retenues d'eau sur les fleuves par EDF.
Le Rhône dont la morphologie est complexe, contraint EDF à jongler avec
sa filiale Compagnie nationale du Rhône (CNR) dont le cahier des charges
impose non seulement de gérer les barrages pour abreuver le nucléaire mais aussi de produire de
l'électricité hydraulique et d'assurer la navigation du Rhône, le
soutien à l’irrigation et empêcher ou limiter les crues. Les intérêts
des différents usagers ne correspondant pas avec ceux du nucléaire c’est
pourtant ce dernier qui a obtenu la priorité en 1974 conduisant à ce
que les besoins en eau soient orientés par EDF.
Cette assurance d'être prioritaire sur l'eau a conduit le nucléariste à construire plusieurs centrales à circuit ouvert en bord du fleuve, une technique qui nécessite beaucoup plus d’eau : 4 réacteurs au Tricastin (Drôme-Vaucluse), 2 réacteurs à Saint-Alban (Isère) et deux réacteurs sur quatre au Bugey (Ain). Les ingénieurs ayant tout envisagé, car étant les meilleurs du monde comme chacun sait, tous ces réacteurs nucléaires sont contraints d'être arrêtés en été, faute de débit suffisant du fleuve.
Ces barrages parfois titanesque comme en région de Langogne (Lozère) ont rencontré une vive opposition dans les années 1970. telle celle au barrage-retenue de 190 millions de mètres cubes à Naussac qui a rassemblée jusqu’à 30 000 personnes. Il devait alimenter les réacteurs nucléaires en cours de construction et les gros céréaliers noyant 1 300 ha des plus riches terres agricoles, anéantissant sept villages, détruisant et poussant à l’exode quarante exploitations agricoles. Une opposition conduite en parallèle de la lutte contre l’extension du camp militaire du Larzac.
Non loin de Roanne (Loire) le barrage de Villerest dont le but était de détourner l'eau pour l'usage des centrales nucléaires mobilisa aussi la contestation des comités antinucléaires. Les deux immenses réservoirs furent toutefois construit et, en fonction des débits-cibles définis par l’État pour l'activité de destruction atomique, les vannes sont ouvertes ou fermées. Le « soutien au débit d’étiage » en aval de la Loire prélève l'eau indispensable aux nombreuses centrales nucléaires construites sur la Loire. A raison de 60 m3/seconde tel à Gien, en aval du site nucléaire de Dampierre-en-Burly,si le barrage de Villerest de 130 millions de mètres cubes de réserve vient à faiblir et est insuffisant pour répondre au glouton atomique les gestionnaires utilisent celui de Naussac mais léger problème : selon les années il n'est pas suffisamment rempli.
A Golfech (Tarn-et-Garonne) lors de la grande canicule de 2003, les autorités ont dû passer outre leur propre directives et accorder une dérogation de prélèvement et de rejets d'eau de refroidissement pour ne pas devoir arrêter la centrale atomique malgré la température excessive de l’eau de la Garonne.
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Notes
[1] Le fonctionnement d’une centrale nucléaire n’est pas si éloigné de celui d’une chaudière : la chaleur produite par la réaction nucléaire chauffe l’eau du circuit secondaire, alimentant en vapeur une turbine. Cette turbine va ensuite entraîner un alternateur et permettre la production d’électricité. L’eau issue d’une source froide (rivière ou mer) intervient enfin pour refroidir ce circuit secondaire et lui permettre d’emmagasiner de nouveau de la vapeur et ainsi de suite. On comprend donc pourquoi les centrales ont un besoin essentiel d’apport en eau froide et se situent en bord de mer ou près d’un fleuve au débit important.
[2] L’eau ne refroidit pas directement le cœur nucléaire en lui-même. Il
existe deux types de centrales nucléaires : à circuit ouvert, souvent
situées en bord de mer, et qui ont besoin d’un volume d’eau important.
Elles relâchent la quasi-totalité des volumes utilisés an augmentant la
température de l'eau rejetée. Les centrales en circuit fermé ont des
tours aéroréfrigérantes qui dispersent la chaleur produite dans
l’atmosphère sous forme de vapeur d’eau (principal gaz à effet de
serre). . « Eau, centrales nucléaires et changement climatique », Revue générale du nucléaire, no 1, janv-fev 2019, p. 38-43.
source originale : L'accès à l'eau, un enjeu crucial pour le nucléaire : https://reporterre.net/L-acces-a-l-eau-un-enjeu-crucial-pour-le-nucleaire
Commentaires
Selon "actu environnement" ( https://www.actu-environnement.com/... ) sous le titre "La gestion des sédiments du Rhône, spectaculaire et délicate" : en raison des barrages hydroélectriques, les sédiments du Rhône ont tendance à s'accumuler.
... une opération délicate entre la Suisse et la France qu'ont mené les services industriels de Genève (SIG), la société des forces motrices de Chancy-Pougny (SFMCP) et la compagnie nationale du Rhône (CNR)... Tous les trois ans, une importante opération est donc organisée pour déplacer ces sédiments de l'amont du fleuve vers l'aval. Cela consiste à abaisser partiellement le niveau des retenues d'eau ...
Depuis 2016, un protocole a été validé par les autorités et l'ensemble des exploitants SIG, SFMCP et CNR. Il prévoit que le taux de matière en suspension ne devra pas dépasser 15 grammes par litre pendant 30 minutes, 10 grammes par litre pendant 6 heures et 5 grammes par litre en moyenne pendant toute la durée de l'opération, soit 12 jours consécutifs....
De nombreux opérateurs sont mobilisés sur plusieurs points stratégiques, comme les refuges piscicoles, pour réaliser des vérifications et éventuellement déclencher des pêches de sauvegarde si nécessaire.
Néanmoins, malgré ces vigilances, les impacts ne sont pas nuls. Ils correspondent, selon la CNR, à une période de crue ou d'étiage. Entre la mise à l'arrêt des générateurs qui produisent de l'électricité et la mobilisation de 300 collaborateurs, le coût de l'opération pour la compagnie nationale du Rhône avoisine les 8 millions d'euros.