Areva-Orano Tricastin : des contrôles qui tournent à la pagnolade mais révèlent le chaos quotidien
Par Rédaction le vendredi 19 juin 2020, 20:16 - Tricastin - Lien permanent
Les 8 et 9 juin 2020 une inspection inopinée des inspecteurs de l'ASN
vient tester la prévention des pollutions et la maîtrise des
déversements polluants accidentels chez Areva-Orano au Tricastin. Le contrôle des
installations nucléaires « Georges Besse 1 » (INB no 93) - ex-Eurodif
Production – révèle plus que des lacunes. Mais, bon bougre, la pseudo autorité laisse deux mois à l'exploitant nucléaire pour faire... ses remarques. Pourtant des dysfonctionnements multiples existent tout comme les risques environnementaux.
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Ce n'est pas à une revue de détails que se sont livrés, les 8 et 9 juin dernier, les inspecteurs de l'ASN. Plutôt quelques incursions ciblées et focalisées sur l'un des bâtiments de la gigantesque installation nucléaire d'Areva-Orano au Tricastin: le magasin 858 de produits chimiques et sa zone de déchargement (1) intégrée à l'usine Georges-Besse. Là, le risque de pollution et d'accident est permanent et peut très rapidement se transformer en accident aux impacts négatifs environnementaux concrets. La gestion du réseau des eaux pluviales par des plans précis à respecter y est indispensable, tout comme la conduite d'exercice concernant les déversements accidentels, l'entretien du réseau et des moyens de prévention des pollutions (batardeaux, séparateurs de phase…) notamment aux abords du canal Ouest et de la rivière « Gaffière ». Cette rivière qui a été victime à plusieurs reprises de contaminations à l'uranium et au tritium et pour lesquelles Areva a été condamné à maintes reprises.
Loin du compte
En des termes feutrés et d'une soumission étonnante, la lettre adressée le 17 juin dernier par l'Autorité de Sûreté Nucléaire au directeur d'Orano-Cycle Usine Georges-Besse 1 (Ex Eurodif Production) révèle bien des situations inquiétantes (2). Qu'on en juge : « quelques points organisationnels (restent) à améliorer afin d’augmenter la réactivité de vos équipes » et « des actions de nettoyage et de récupération des végétaux soient à entreprendre rapidement » sur le réseau des eaux pluviales, ou bien encore que des « points restent toutefois à améliorer, notamment concernant les moyens de préventions des pollutions, qui doivent toujours être disponibles, avec un affichage clair des consignes en cas d’incident auprès de vos équipes » et que « par ailleurs, des actions devront être entreprises afin d’assurer l’intégrité et la sécurité des piézomètres sur votre site » tandis que « les localisations des zones d’entreposage de palettes du magasin 858 devront être étudiées afin de ne pas être à proximité des zones d’entreposage des produits inflammables, chimiques et dangereux. ».
Absence du système anti-pollutions
Pour prévenir les pollutions dans l’environnement lors d’un déversement accidentel de produits chimiques dans la zone de déchargement au magasin 858 il existe un tapis obturateur qui doit être disponible à tout moment. Le b-a ba de la protection. Manque de chance ce jour là il n'est pas en place. Et il se révèle qu'il n'est plus opérationnel depuis 4 mois, autrement dit depuis le dernier exercice qui remonte au... 5 février 2020 ! Une paille. Le chef-adjoint de l'ASN demande à Areva-Orano quelques actions correctives si c'est pas trop exiger « vous assurer que les systèmes de prévention des pollutions soient bien disponibles, et à leur emplacement associé en toute circonstances... de remettre à sa place le tapis obturateur au niveau du magasin 858 dans les plus brefs délais. » Ca c'est une bonne idée.
Un cocktail incendiaire
Dans la zone d’entreposage située en face du magasin 858 sont déchargés les produits toxiques, dangereux et inflammables avant leur rangement dans le magasin. Le jour où les inspecteurs faisaient leur virée un stock de palettes en bois était empilé à proximité immédiate d’un chariot élévateur sans aucune distance de sécurité. A tout moment un départ de feu aurait pu se régaler d'un tel combustible et devenir incendie sérieux. L'ASN demande donc au nucléariste « de respecter une distance suffisante entre votre entreposage de produits inflammables, toxiques et dangereux et toute charge calorifique.... et de déplacer ces palettes dans les plus brefs délais sur une zone qui sera définie par une analyse de risques notamment au regard du risque incendie. » Oui ça serait quand même mieux de faire ça dans cette industrie de pointe.
Un exercice anti-déversement d’hydrocarbures en aveugle
Un exercice de mise en situation a été joué au niveau de la zone de déchargement du magasin de produit chimique : la simulation de la fuite du réservoir d’un camion, à proximité du regard débouchant sur le réseau d’eaux pluviales. Si le personnel présent a bien réagit, l'efficacité n'était pas forcément au rendez-vous. Effectivement les documents consignant les procédures à appliquer en pareil cas étaient totalement absents. Préjudiciable pour faire face à une telle situation de pollution en cas de déversement réel dans la zone (3). Aucun document disponible nulle part dans ce bâtiment alors qu'ils auraient dû être affichés ou consultables à proximité immédiate par les personnes témoins de l’incident, histoire qu'elles puissent s’y référer et effectuer les bonnes actions, et dans le bon ordre. Quant à l'Unité de Protection de la Matière et du Site (UPMS) qui est intervenue en complément, il y avait un tel amas de végétaux intempestifs dans le canal qu'elle n'a pas pu localiser les débouchés possibles du regard dans le réseau. Et comme aucun plan du réseau n'était disponible dans leur camion d'intervention, les intervenants ont été forcés d'ouvrir manuellement toutes les bouches une à une pour analyser le réseau et attendre la venue sur place du « correspondant environnement » d’astreinte pour valider l'efficacité des manoeuvres.
Un peu perfide, il nous semble, l'ASN indique que : « … l’efficacité pourrait être améliorée en mettant à disposition les documents nécessaires à la gestion de l’incident. » comme par exemple « d’afficher clairement la consigne 06300G 00057 à proximité de la zone à risques. » et « de vous assurer de sa bonne diffusion auprès du personnel. » Basique mais pas ici chez Orano où la mémoire défaille visiblement : « des rappels pourraient être effectués afin de vérifier le niveau de connaissance de cette consigne au fil du temps. » et «de veiller à la bonne connaissance des plans du réseau par l’UPMS. » Avec ou sans lunette c'est mieux de savoir où l'on va.
Des cultures sauvages dans le réseau d’eau pluvial et des points de prélèvements de pollution ne correspondant à rien
Les inspecteurs ont été pour le moins surpris de l’état du réseau d’eau pluvial au niveau du Canal ouest : des arbustes poussaient allègrement dans le lit du canal. Ils s'apprêtaient à en détériorer, un jour ou l'autre, le revêtement en béton. Un peu plus loin de nombreux déchets de végétaux obstruaient également l’écoulement vers le séparateur de phase à proximité d'un batardeau (EW 831004). Et comme si ça ne suffisait pas, les points de prélèvements et de mesures de pollution indiqués sur le plan du réseau d’eaux pluviales ne correspondaient pas aux différents émissaires de rejets dans la rivière « Gaffière ». Au moins deux d'entre eux étaient inversés (émissaires G36 et G37) vis-à-vis des points de prélèvements. Un bon moyen de prétendre qu'il n'y a pas de pollution et que tout baigne au fil de l'eau.
Pour l'ASN il serait donc judicieux de « veiller à l’entretien de tous les canaux, afin d’éviter toute détérioration de son étanchéité » et de veiller « également à garantir un bon écoulement des eaux de pluie en limitant la présence de végétaux au sein du canal et garantir une bonne visibilité des exutoires. » Tout comme « dans le cadre de la mise à jour du plan du réseau d’eaux pluviales, il serait intéressant de vérifier les concordances entre les points de prélèvements et les émissaires de rejets. » Que d'efforts à accomplir pour les petits-soldats du nucléaire afin de bien savoir faire son lit.
Des piézomètres de mesures de radioactivité pas du tout sécures
Sur le périmètre de l'installation nucléaire Georges-Besse1 des piézomètres mesurent le niveau de radioactivité. Ils sont en principe sécurisés pour garantir leur bon fonctionnement. Ils doivent être cadenassés et leur base doit être cimentées sur 1 mètre de profondeur. Et bien deux piézomètres au moins (ET531 et ET532) ont choisis de faire bande à part. Ils n'étaient pas cadenassés tandis que d'autres n'avaient pas leur base bétonnée. Malgré la claire prescription ARE-93-104 : « en dehors des périodes d'exploitation ou d'intervention, l'accès à l'intérieur du sondage, forage, puits, ouvrage souterrain est interdit par un dispositif de sécurité, et la base des piézomètres doit être cimentée sur 1 mètre de profondeur compté à partir du niveau du terrain naturel ». Demandes d’actions correctives de la part de l'ASN: « Je vous demande de prendre les dispositions nécessaires pour assurer la sécurité des piézomètres, conformément à la prescription ARE-93-104 de la décision ASN 2013-DC-356. » Hou là là ça chauffe un max entre l'Autorité et l'exploitant.Au final, bon bougre, l'ASN comme à l'accoutumé laisse deux mois à Orano-Areva pour faire, non pas les travaux indispensables mais... ses observations, répondre et proposer de s'engager à prendre ultérieurement des correctifs. Nul par ailleurs les responsables de dysfonctionnements et de mises en danger environnemental ne bénéficieraient de tant de largesses. Mais attention, dans le monde de la nucléocratie on est pas des chiens non plus, ces deux mois de délais c'est : « sauf difficultés liées à la situation sanitaire actuelle... et sauf mention contraire » et merci d'identifier clairement ce que vous voudrez bien effectuer et de « préciser l’échéance de réalisation ». Et puis « dans le cas où vous seriez contraint par la suite de modifier l'une de ces échéances, je vous demande également de m’en informer. » précise l’adjoint à la chef de la division de l'ASN-Lyon. C'est très choux, une bien belle danse du ventre. Comment voulez-vous dans ces conditions que l'ASN soit prise au sérieux par les exploitants - ils se bidonnent- et par la population qui est à juste titre inquiète?
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(1) LT4a-Prévention des pollutions
(2) Lettre de suivi d'inspection CODEP-LYO-2020-032380 du 17 juin 2020 et INSSN-LYO-2020-0389 des 8 et 9 juin 2020 -
(3) Conduite à tenir en cas de déversement de produits chimiques ou d’effluents liquides référencée 06300G 00057
Commentaires
Merci pour vos informations
Hervé Schiavetti, ancien maire d'Arles.