Un salarié de Framatome (ex-Areva NP, ex-FBFC) meurt du coronavirus à Romans-sur-Isère
Par Rédaction le jeudi 23 avril 2020, 15:37 - National - Lien permanent
Plutôt le profit et la toute puissance que l'humain. Un salarié chez Framatome-Areva-EDF, intérimaire de 53 ans, infecté par le Covid-19 vient de décéder à l'hôpital samedi dernier. Il travaillait dans un atelier de l'Installation Nucléaire de Base 98 (INB98) où selon le syndicat CGT de l'entreprise 5 autres cas de coronavirus ont été détectés. Le syndicat a déclenché un droit d'alerte pour danger grave et imminent.
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Un salarié intérimaire du site Framatome/Areva/EDF (1) - qui fabrique à Romans-sur-Isère (Drôme) des pastilles radioactives et de gigantesques "crayons' uranifères radioactifs destinés aux réacteurs atomiques - est mort samedi dernier du coronavirus covid-19. Agé de 53 ans, il travaillait dans un atelier où selon le syndicat CGT 5 autres cas de coronavirus ont été détectés. Le syndicat a déclenché un droit d'alerte pour danger grave et imminent.
Le syndicat accuse la direction du groupe de "carences" dans la protection des salariés et de mesures insuffisantes dès le début du confinement face au coronavirus. En effet alors que toutes les mesures de sécurité n'étaient pas en
place, la direction a refusé de fermer le site nucléaire, se contentant
de ne fournir que du gel hydroalcoolique et de mettre en place de
simples mesures de distanciation sociale. Les masques et les visières de protection sont arrivés au compte-gouttes et en
petites quantités. Toujours pas en nombre suffisants pour les 350
salariés.
La CGT avait demandé à la Direction de l'entreprise qu'elle ferme le site au moins pendant quelques jours, le temps de tout mettre en place. Estimant que le site Framatome de Romans-sur-Isère était stratégique et indispensable pour les centrales nucléaires (alors que près d'une vingtaine de réacteurs sont à l'arrêt et sans besoin de "combustible" atomique) la Direction avait refusé de fermer.
Un comité social et économique (CSE) est prévu ce jeudi 23 avril 2020 matin avec l'inspection du travail.
En 2014 l'INB98 FBFC (Franco-Belge de fabrication de combustibles), alors propriété de Areva, avait été mise en demeure par l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) d’améliorer ses moyens de gestion des situations d’urgence non seulement dans le cadre des actions post-Fukushima mais surtout suite à de nombreux incidents et dysfonctionnements (2). Elle fut placée tout au long de l’année sous une surveillance renforcée et inspection de revue de la part de l’ASN. A l'époque 100 millions d’euros étalée sur cinq années dans la rénovation et l’augmentation des moyens de production étaient censés faire de cette entreprise une référence mondiale dans son secteur d’activité de fabrication d'assemblages de produits de fission nucléaires (3).
En 2018 des sous-traitants "Nuvia Support" de Framatome s'étaient mis en grève pendant plusieurs semaines. Passés de neuf salariés en 2014 à six la situation était intenable : « On est passé de 35 heures de travail par semaine à des semaines aujourd’hui où on peut monter jusqu’à 48 heures, on travaille du lundi au samedi" . Les grévistes demandaient simplement des embauches et plus de moyens humains pour pouvoir faire leur travail correctement, en soulignant un risque pour la sûreté : "Ce sous-effectif et ces conditions de travail peuvent engendrer de la fatigue, du stress et donc des incidents sur la sûreté et mettre en danger les salariés à l’intérieur du site mais aussi la population aux alentours".
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(1) La société Framatome a été créée en 1958 par un rapprochement entre la filiale "Creusot-Loire" du groupe Schneider et l’entreprise états-unienne spécialisée dans le nucléaire Westinghouse Electrics qui loue une licence de réacteurs nucléaires à eau pressurisée à la France (les centrales nucléaires françaises sont en fait... états-uniennes). Framatome ne produit à l'époque que des chaudières nucléaires et va par la suite se diversifier dans la connectique en rachetant plusieurs entreprises spécialisées. Jusqu'en 1975, Framatome est la propriété de Schneider et de Westinghouse, année ou le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), organisme public français, fait son entrée dans son capital et lui accorde en contre-partie le monopole de la construction de chaudières nucléaires en France.
En 1981, Creusot-Loire rachète la part de Westinghouse Electrics au capital de Framatome, puis rétrocède 30 % de cette part au CEA. En 1983, Creusot-Loire et le CEA possèdent chacun 50 % du capital de Framatome. Mais Creusot-Loire au bord de la faillite, le CEA devient le seul actionnaire de Framatome qui devient donc une société publique. En 1985, le capital de Framatome est redistribué entre la Compagnie Générale d’Electricité (CGE), une entreprise nationalisée, à hauteur de 40 %, le CEA pour 35 %, et EDF principal client de Framatome pour 10 %. Dans ce mécano financier le reste du capital de l’entreprise appartient pour 12 % au groupe privé de BTP Dumez, et pour 3 % aux salariés histoire d'intégrer ceux-ci à leur propre exploitation.
Le gouvernement de Jacques Chirac privatise la CGE, qui change de nom pour s'appeler Alcatel-Alsthom fusion de l'ALsacienne de Constructions Atomiques, de TELécommunications et d’électronique absorbée elle-même en 1968 par la Compagnie industrielle des télécommunications (CIT) appartenant à la Compagnie générale d'électricité (CGE). Le groupe Dumez revend sa participation dans Framatome à Alcatel-Alsthom, qui possède donc 52 % du capital de l’entreprise qui redevient ainsi une entreprise privée. Vers la fin 1990 Alcatel-Alsthom revend (à bon prix) 8 % de ses actions au CEA et au Crédit lyonnais alors banque publique. Puis Alcatel-Alsthom ne possède plus que 44 % de Framatome, le secteur public 51 % (36 % CEA, 11 % EDF, 4 % Crédit lyonnais), et le personnel 5 %. Framatome redevient publique. A partir de 1994 , Édouard Balladur puis Alain Juppé, tentent en vain de reprivatiser l’entreprise.
En 1999, alors que le capital de Framatome est détenu à 84 % par l'Etat du fait du désengagement massif d’Alcatel et de la montée de Cogema (devenue Areva NC) dans le capital : Framatome et l'allemand Siemens fusionnent les activités nucléaires des deux entreprises et crées une nouvelle société appelée Framatome ANP (Advanced nuclear power), détenue à 66 % par Framatome et à 34 % par Siemens. L'accord est officiellement signé le 4 juillet 2000 et finalisé en 2001 : Framatome ANP devient alors une filiale d'une nouvelle société créée à cet effet qu'ils appellent Topco. En fait une société holding fruit d’un rapprochement entre Framatome ANP, CEA Industries, et Cogema.
En septembre 2001, Topco devient Areva. En 2006, Areva filialise Framatome qui est chargée de s’occuper de la construction de réacteurs et de leur maintenance. Framatome devient Areva NP (Nuclear Power). En 2009 Siemens, qui a fait plusieurs tentatives infructueuses d'entrer dans le capital d’Areva, se retire d’Areva NP. Areva rachete alors les 34 % de Siemens le 18 mars 2011. Areva NP est donc possédée à 100 % par Areva.
Mais il s'avère dans les années suivantes qu"Areva est au bord de la faillite de part ses incapacités à construire l'EPR et des malversations financières et techniques. L'Etat (les contribuables) vole à son secours et lui octroie 7 milliards d'euros. A charge de se séparer de son activité de construction de réacteurs et de maintenance. Après des discussions sans fin entre EDF et Areva sur le prix de rachat d’Areva NP, finalement valorisé à 2,7 milliards d’euros, le 30 juillet EDF en devient le propriétaire avec plus de 51% du capital d’Areva NP. EDF se voit allouer aussi près de 2 milliards d'euros par l'Etat qui sauve ainsi de la faillite généralisée la filière nucléaire française.
(2) https://www.asn.fr/L-ASN/L-ASN-en-region/Auvergne-Rhone-Alpes/Installations-nucleaires/Usines-de-fabrication-de-combustibles-nucleaires-de-Romans-sur-Isere/Avis-d-incidents/(page)/2
(3) En 2013, la FBFC qui produisait près de 700 tonnes d’assemblages de produits de fission uranifère (combustible) pour un chiffre d’affaires de près de 200 millions d’euros, espérait atteindre 800 ou 900 tonnes dans les années suivante bien que le contrat avec EDF qui représente 70 % de l’activité n’avait toujours pas été re-signé. L’export (un tiers du chiffre d'affaires) représentait alors un relais de croissance pour FBFC qui devait fournir les EPR chinois et les centrales belges et sud-africaines. Dirigé pendant trois ans par son directeur Didier Rocrelle, muté au Niger où Areva exploite des mines d’uranium ou de nombreux licenciements viennent d'être annoncés, la FBFC est piloté aujourd'hui par son ancien Directeur adjoint chargé de l’exploitation Arnaud Capdepon, centralien de formation auparavant en poste à Marcoule près avoir débuté sa carrière sur le site de la Hague. Mais l'entreprise faisait face à un tout autre problème de taille : près de la moitié du personnel va être en position de faire valoir ses droits à la retraite soit près de 500 personnes sur un effectif global de 900 (dont 150 à Pierrelatte). Le renouvellement et donc le maintien des compétences humaines était déjà à l'ordre du jour. En attendant la sous-traitance et l'intérim font l'affaire.
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