Cruas-Meysse : Redémarrage chaotique et dangereux des réacteurs atomiques
Par Rédaction le dimanche 15 décembre 2019, 16:24 - Ardeche - Lien permanent
L'ASN couvre, comme à l'accoutumée, les activités nucléaires quelque soient les risques et fragilités des installations. L'autorité vient de donner son feu vert au redémarrage des réacteurs nucléaires de Cruas-Meysse mis à l'arrêt depuis le tremblement de terre qui a frappé la région le 11 novembre dernier. Mais rien ne se passe comme prévu. Les équipes qui pilotent la remise en route des réacteurs ne parviennent pas à garder le contrôle de la montée en puissance de la réaction en chaîne de chacun des réacteurs. Danger.
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Les riverains de la centrale atomique de Cruas-Meysse, et bien au-delà, assistent médusés depuis quelques jours au yoyo des nuages de vapeur d'eau (gaz à effet de serre) sortant des tours aéroréfrigérantes des réacteurs en redémarrage après le séisme du Teil. Parfois propulsés à près de 2kilomètres d'altitude, parfois au ras des tours, parfois disparus et ce, en l'espace de quelques minutes.
Le 14 décembre à 17h le réacteur atomique n°2 de Cruas se trouvait en pleine puissance et en
surchauffe anormale avec évacuation de vapeur par l'enceinte de
confinement , le réacteur n°3 était en pleine puissance mais en
surchauffe anormale tout comme le réacteur n°4. Mais la veille et depuis
48 h aucun panache ne sortait des tours, puis subitement vers 13h15 un
gigantesque panache de vapeur de 1500 à 2000 mètres se forme en quelques
minutes puis disparait totalement vers 13h40.
Le signe ne trompe pas : la montée en puissance des réacteurs nucléaires n'est pas maîtrisée, un emballement succédant à un ralentissement succédant lui-même à ce qui ressemble à un arrêt d'urgence. On se croit revenu au temps de Tchernobyl où dans la salle des commandes les essais de pression et sur-pression allaient finir par virer ce 26 avril 1986 à la catastrophe.
EDF joue au yoyo atomique nouvelle version de la roulette russe
Confirmation de la non-maîtrise et des problèmes sérieux rencontrés par les opérateurs, des spécialistes officiels révèlent depuis plusieurs jours la difficulté de redémarrage des réacteurs et les risques potentiels en découlant : rejets de radioactivité dans l'atmosphère, contamination, explosion.
Pour le réacteur nucléaire n°3, la puissance nominale à atteindre de 915MW, annoncée à plusieurs reprises depuis plusieurs jours pour le 15/12/19 à 11:30, ne parvient pas à être atteinte. Après avoir franchit le premier palier de 10
MW le 13 décembre à 19h26 avec comme objectif d'atteindre ensuite les 655MW ce ne sont que 50
MW qui ont été atteint à 19:48. Du coup EDF a modifié son objectif de pleine puissance au 15 décembre à 03h30. Le lendemain 14 décembre à 02h21 les 610
MW étaient atteint avec l'objectif d'atteindre les 915MW le 15 décembre à 03:30 mais le 14 décembre à 10h21: impossible de dépasser les 610MW. Du coup EDF repousse la pleine puissance au 15 décembre à 05h30. Mais à 12h16
ce 14 décembre, le réacteur reste scotché à 615MWMW. Du coup EDF repousse l'objectif de pleine puissance au 15 décembre à 09h30. Mais à 14h21EDF pense atteindre la pleine puissance 07h30. Manque de pot le 15 décembre à 05h08 le réacteur n'en est qu'à 790
MW. Prévision du plein pot revu encore et reporté au 15 décembre à 10h30. Mais à 06h56 le réacteur atteint difficilement les 795MW. Alors EDF reporte encore la puissance nominale au 15 décembre pour 16h30. Mais à 10h16 le réacteur reste scotché à 795MW. EDF reporte le plein pot pour 21h30.
Le réacteur n°1 est lui arrêté sérieusement depuis le 7 septembre au petit matin à 0h15 et son redémarrage en pleine puissance est programmé pour le 22 décembre à 23h. La remontée par palier doit durer 48h et donc commencer le 20 décembre. Entre temps plusieurs annonces de redémarrage ont émaillé ces trois mois. Le 09 juillet à 09h19 EDF annonçait le redémarrage pour le 01 décembre à 00h15, mais le 13 novembre à 22:13 le redémarrage était reporté une première fois au 19 décembre à 23h00, suivit donc le 14 décembre à 18h46d'un redémarrage au 22 décembre 23h00. EDF a beau pressurer les intervenants lors des arrêts de tranches en leur demandant de réaliser toujours plus d'interventions en toujours moins de temps et au meilleur coût : la fusion nucléaire entraînant la réaction en chaîne atomique n'est pas un jeu, surtout pas de poker-menteur.
Le réacteur n°4 joue aussi du yoyo atomique : en arrêt "Fortuit" pour défaillance le 14 décembre à 11h30 il avait remonté en puissance de 800 MW à 15h00. Il est vrai que le 11 décembre à 04h30 il avait chuté à 375MW et EDF espérait déjà qu'il remonte au plein pot de 915MW le 13 décembre vers 04h00. Raté. Mais on est habitué car déjà le 09 décembre à 20h46 il était en rideau à 0MW, tout comme à 22h20 les réacteurs 1 et 3. Seul le réacteur n°2 semblait atteindre poussif une puissance de 500 /600 MW maxi. Et les grèves légitimes pour la défense des retraites n'ont pas été de nature à améliorer la situation.
La dangerosité du "Mox" que EDF ne voulait pas dans ses réacteurs
Depuis 2017, sur les 58 réacteurs nucléaires français d'EDF, 22 de 900 MWe sur les 24 autorisés utilisent du "Mox" à la place de l'uranium "classique" (1). C'est un mélange d'oxyde mixte d'uranium et de plutonium issu des déchets irradiés précédemment dans les réacteurs nucléaires. C'est une invention du CEA, fabriquée et commercialisée par Orano-Areva à l'usine MELOX de Marcoule *, afin de tenter de diminuer (de 1% seulement) le stock énorme de déchets radioactifs et vendu comme produit de fission atomique "boosté". C'est de ce Mox que le réacteur n°3 de Fukushima-Daïchi qui a explosé était gorgé.
Si les quatre réacteurs du Tricastin (Vaucluse-Drôme) sont moxés depuis les années 1996-97, jusqu'à présent et officiellement tel n'était pas le cas des 4 réacteurs de Cruas (2). La donne aurait-elle changée qui expliquerait en partie les multiples déboires de la centrale nucléaire ardéchoise?
Le très sérieux problème du "mox" est le plutonium (proche de celui utilisé pour les bombes atomiques) extrêmement radiotoxique et pouvant présenter des risques de criticité c'est à dire d'emballement mortel. Selon l'ASN elle-même (3) il nécessite des précautions particulières, notamment en termes de radioprotection des travailleurs, dans la fabrication du combustible MOX, son transport et surtout son utilisation en réacteur bien plus compliqué.
Si EDF a accepté, non sans réticence interne des ingénieurs et techniciens, de gorger ses réacteurs de Mox c'est avant tout pour des considérations financières. Car les risques sont décuplés du fait de modifications du comportement neutronique des réacteurs utilisant du MOX obligeant à une maîtrise différente des montées en puissance et arrêts d'urgence tout en exposant plus sévèrement les salariés à des atteintes lors des chargements et déchargements dans le coeur des réacteurs. Et en plus, après irradiation, les assemblages Mox usés ont une puissance thermique résiduelle plus élevée que celle des combustibles "classiques" (UNE) usés et doivent être entreposés dans les piscines des réacteurs bien plus longtemps avant leur transfert à l’usine de La Hague (Manche).
Ainsi le MOX dégage plus de radioactivité, produit plus de radio-isotopes différents et de chaleur et sa conductivité thermique se dégrade (avec une relation non linéaire) au fur et à mesure de son temps de "combustion" dans le réacteur que le combustible classique. Le refroidissement du Mox usagé prend environ 10 fois plus de temps (50 ans au lieu de 5 à 8 ans) qui implique des installations de refroidissement plus grandes. En stockage la durée du refroidissement nécessaire est de 60 à 100 ans.
Révélation : des défauts de conception et de fabrication sur le Mox
Des défauts de fabrication des crayons de "Mox" viennent d'être révélés en novembre 2019 : les pastilles contiennent trop de plutonium et dans les crayons la réaction nucléaire est plus forte à certains endroits qu’à d’autres. Un sérieux risque de déformation des matériaux en découle et de fusion inopinée du "combustible" au coeur même des réacteurs nucléaires. Toutes les pastilles de Mox fabriquées par Orano/Areva entre 2014 et 2016 contiennent trop de plutonium! Mais c'est dès fin 2016, qu'EDF était au courant d’un phénomène anormal concernant le flux de neutrons dans les crayons de combustible (tubes où sont empilées les pastilles) : au lieu de se répartir de manière homogène dans l’ensemble, le flux de neutrons augmente à certains endroits, et plus précisément en bas du crayon. Ce qui crée un surcroit de puissance localisé. La réaction nucléaire est donc plus forte à cet endroit, dans le bas des crayons de combustible. Et plus imprévisible et difficile à contenir et maîtrisée pouvant aller jusqu’à la fusion nucléaire.
A ce jour 22 réacteurs nucléaires continuent à fonctionner en France avec des pastilles de Mox surdosées en plutonium et des crayons mal conçus générant des flux de neutrons non homogènes et donc encore plus risqués.
(photos : Next-Up organisation)
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* précédemment fabriqué dans l'atelier de technologie du plutonium (ATPu) de Cadrache (Bouches du Rhône)
(1) la consommation annuelle d’uranium naturel par EDF dans ses centrales atomiques est de l’ordre de 8 400 tonnes et celle de combustibles MOX de 120 tonnes
(2) sont également "moxés" les réacteurs de Saint-Laurent-des-Eaux (StL B1 en 1987, StL B2 en 1988), Gravelines (Gra B3 et B4 en 1989, Gra B1 en 1997, Gra B2 en 1998), Dampierre (Dam 1 en 1990, Dam 2 en 1993, Dam 3 en 1998), Blayais (Bla 2 en 1994, Bla 1 en 199715Bla 3 et Bla 4 en 2013), Chinon (Chi B1, B2, B3 et B4 en 1998).
(3) https://www.asn.fr/Informer/Dossiers-pedagogiques/La-surete-du-cycle-du-combustible/Le-combustible/Le-combustible-MOX . https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/cycle_combustible/fabrication_combustible_MOX/Pages/MOX.aspx .
Commentaires
16 12 2019. Ce matin vers 9h30 il n'y avait pas de panache de vapeurs issus des tours aéroréfrigérantes. Vers 12h30 le ou les panaches s'élevaient à plus de 1000 mètres malgré le vent du sud. A 16h23 on constate que les panaches sont réduits au minimum, donc que les trois réacteurs sont totalement en sous-régime de puissance donc au maximum 315 MW par réacteurs, voire moins.
Quelles sont les preuves pouvant confirmer que du MOX a été introduit dans les réacteurs de Cruas ? Y-a-t-il une source sure crédible ?
Ndlr : Il s'agit d'un questionnement car seule l'ASN peut donner son autorisation à une demande éventuelle de EDF pour charger un réacteur en Mox. Au vue des problèmes dans la montée en puissance par palier du réacteur on peut effectivement se demander si les "crayons" de Cruas font partie de ceux de Mox mal fabriqués ou d'Uranium "classique" pas très maîtrisés ou de mauvaise fabrication.
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