Séisme : le document officiel qui déjà accusait EDF-Cruas d'incapacité et de dissimulation
Par Rédaction le jeudi 14 novembre 2019, 20:28 - Ardeche - Lien permanent
En date du 12 novembre 2009, dix ans avant le séisme qui a
frappé non loin des centrales nucléaires, l'ASN avait adressé au Directeur
EDF-Cruas le rapport d'une inspection ayant eu lieu le 9 octobre
2009. EDF n'était déjà pas préparé à faire face à un séisme ! Pire : les bâtiments de commandement n'étaient pas assurés de résister à un séisme. Et aujourd'hui ? Alors que le Directeur se démène pour manipuler la presse en organisant une visite de sous-sols propres comme de la porcelaine, on est bien loin de cette réalité avec les réacteurs du Tricastin qui pataugent eux dans l'eau et une radioactivité hors norme.
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En date du 12 novembre 2009, dix ans avant le séisme qui a frappé non loin des centrales nucléaires ce 11 novembre 2019 , l'Autorité de Sûreté Nucléaire avait adressé au Directeur d'EDF-Cruas le rapport d'une inspection ayant eu lieu le 9 octobre 2009 (Inspection INS-2009-EDFCRU-0004 du 09/10/2009) sur la prise en compte du risque sismique par le centre nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Cruas.
On peut y lire en
toute lettre : " Après la
présentation par le site des dispositions prises pour faire face à un séisme,
les inspecteurs de l'ASN ont vérifié la mise en œuvre de cette démarche
par un exercice réalisé en salle de commande du réacteur n°1. A l’issue
de cette inspection, il ressort un bilan mitigé." En effet, si le
site a mis en œuvre une organisation pour le traitement des
affaires relatives au génie civil, en particulier pour l’aspect
spécifique de Cruas que constitue sa construction sur appuis
parasismiques :
" En revanche, au travers de quelques exemples étudiés lors de l’inspection, les inspecteurs ont pu constater que le site n'a pas d'organisation spécifique prévue en cas de séisme. Cette inspection a fait l’objet de trois constats d’écart notables..."
Et l'ASN de poursuivre (mais un peu tard) que "il n'existe pas de document permettant de réaliser une analyse d'impact en cas de séisme. Les interlocuteurs du CNPE* ont affirmé ne pas pouvoir garantir qu'une équipe de crise pourra être gréée.
L'ASN, qui chacun-e le comprend tente à présent de se couvrir, demande à EDF de " de mettre en place une organisation pérenne permettant de gérer la survenue d'un séisme sur le CNPE de Cruas."
Alors que le Directeur de la centrale nucléaire de Cruas se démène pour manipuler la presse en organisant une visite des sous-sols propres comme de la porcelaine, on est bien loin de cette réalité avec les réacteurs du Tricastin qui pataugent eux dans l'eau et une radioactivité hors norme. Il est vrai que Cruas est la seule centrale nucléaire dont les réacteurs sont aux normes anti-sismiques. Aucun autre des 54 réacteurs disséminés sur le territoire ne le sont
Pire encore
Dans sa lettre de suivi d'inspection à EDF-Cruas, l'ASN indique clairement que " le bâtiment de sécurité (BdS), le bâtiment de direction où sont basés tous les postes de commandement décision (PCD), et les portiques permettant l'entrée et la sortie des zones contrôlées (système « KKK » dont les tableaux électriques sont situés au sous-sol du BdS) ne tiennent pas au séisme." Cependant, aucune analyse n'a été faite en conséquence.
Et, en plus, EDF-Cruas ne possède pas de liste des matériels et bâtiments non importants pour la sûreté (IPS) vis-à-vis de leur tenue au séisme. Tout comme pour les voies de communication permettant le va et vient possible des véhicules de sécurité, d'intervention et d'évacuation.
Face à cette cacophonie et fuite de responsabilité, face à cet amateurisme et mépris de la population et des salariés, l'ASN qui va piano demande gentiment à EDF "d’analyser les conséquences que sont susceptibles d’engendrer ceux qui sont sensés ne pas résister." On ne se fâche jamais entre nucléocrates.
Le Gag des Gag
Pour pouvoir parer à un tremblement de terre ou à une quelconque agression, il est indispensable d'anticiper la liste des éléments agresseurs (échafaudage, armoire, pupitre, etc...) et de leur impact sur d'autres matériels en cas de chute. Nécessité basique de sécurité. Une telle liste a bien été établie lors de l'examen de conformité (ECOT) de la visite des 20 ans d'existence de la centrale de Cruas et figure dans une base (Seven) informatique. Or, comme c'est bête, les inspecteurs de l'ASN se sont rendu compte que personne sur le site nucléaire n'avait les mots de passe pour y accéder et de toute façon ne l'utilisait pas. La liste des couples agresseurs/agressés pour Cruas n'a donc pas pu être présentée aux inspecteurs. Il s'agissait d'une demande de la lettre de suite de l'inspection remontant déjà au ... 25 mai 2000.
Et ce n'est pas fini
Depuis 2005, Cruas est équipé d'une nouvelle "baie" d'acquisition des mesures d'accélérations sismiques transmises par les accéléromètres situés sur le site. Mais personne sur place n'a pu affirmer à l'ASN que " des essais physiques qui "secouent" l'accéléromètre, qui permettent de vérifier qu’un signal est capté et que la baie déclenche bien au-delà du seuil prescrit" ont été réalisés.
Même pas mal aux chevilles
A Cruas, les locaux W604 et W657 des réacteurs 1, 3 et 4, des limitations de charges ont été imposées à la suite de fragilités constatées sur les types de chevilles utilisées pour l'ancrage au génie civil de planchers métalliques courbes des bâtiments électriques. Cela remonte à plus de dix ans. Mais les inspecteurs ont constaté que " le site n'a pas fait d'affichage visuel sur place ni émis de note spécifique concernant les limitations de charge." Une simple communication orale a été faite par les chefs de service en avril et octobre 2009 du style "poser pas trop de poids par ici". Depuis de l'eau a coulé sous les ponts et pas que là, dans des bâtiments aussi.
Abonné au clavier absent
Les inspecteurs ont aussi voulu apprécier la mise en œuvre de procédures du site en cas de séisme. Un séisme virtuel a été simulé (0,15 g en X, 0,2 g en Y soit 0,25 g en horizontal après cumul quadratique et 0,1 g en vertical). Un personnel chargé des rondes (rondier) s'est rendu au niveau de la baie d’auscultation et des mesures sismiques (baie EAU). Mais manque de pot : il n'a pas trouvé le clavier et n'a donc pas pu allumer l'écran qui lui aurait permis de récupérer les valeurs enregistrées. Impossible dans ces conditions de donner les pics d’accélérations du séisme ! De toute façon la photo et la description de la baie n'indiquent pas le clavier. Et puis, aux inspecteurs "l'opérateur et le rondier impliqués ont précisé n'avoir reçu aucune formation ni sensibilisation sur le risque "séisme". Donc, inévitablement, l'opérateur n'a pas envoyé le rondier vérifier les valeurs en se basant sur les mesures des accéléromètres situés sur le plancher de service du bâtiment réacteur... bien que stipulée dans la note technique "Doctrine donnant la conduite à tenir
après survenue d'un séisme sur un CNPE"(référence D4550.31-08/0211
indice A du 19/12/2008). On ne se formalise pas pour si peu chez EDF.
La procédure "SEAU" de Cruas possède une particularité car on aime innover ici et surtout simplifier à l'extrême. On n'aime pas s'embêter avec des chichis. A Cruas on ne demande pas de ronde spécifique après un séisme ressenti, que celui-ci soit inférieur ou supérieur au seuil de déclenchement de l'alarme EAU. Que le matériel soit opérationnel ou pas. On s'en fout en fait. Alors les inspecteurs de l'ASN demandent gentiment à EDF "de mettre en place des gammes spécifiques permettant aux opérateurs ou aux rondiers de faire une ronde après séisme, que sa valeur soit supérieure ou inférieure au seuil de déclenchement, lorsque l'alarme EAU s'est déclenchée afin de s’assurer de la fonctionnalité du matériel."
Dispositifs de maintien sismique des relais : qu'es aquò ?
Une inspection générique s'est déroulée sur l'ensemble des centrales en novembre 2008 suite à la découverte à la centrale nucléaire de Belleville, du fait que des relais 380V ne tenaient pas le choc en cas de séisme. Chaque CNPE devait vérifier et remettre en conformité le système de maintien des relais. Cruas a mis à jour ses gammes de contrôles renforcés sur le maintien des relais, complétées par un document didactique comportant des photos. Mais manque de pot, lors des contrôles et lors des formations, les agents découvrent que le doc ne comporte pas de référence ni d'indice alors que le manuel qualité impose les exigences de normes ISO 9001.
Dans le même ordre d'idée, comme sur le réacteur atomique n°4, plusieurs défauts avait été constatés, un contrôle à 100% des relais a été effectué. Mais les inspecteurs constatent que "En revanche, sur les autres réacteurs sur lesquels peu ou pas de défauts ont été constatés, vous avez pris la décision de ne pas faire de contrôle à 100%. En particulier, le réacteur n°1 ne sera pas concerné par ce contrôle à 100% bien qu'un défaut ait été constaté par les inspecteurs de l'ASN." Pourquoi et sur quelle base technique? Seule Madame Irma le sait.
La traçabilité des contrôles et des défaillances : bof !
Le contrôle du bon fonctionnement de l'instrumentation sismique doit répondre a des procédures en principe draconiennes (note D5181/PE/ES/10405/01 ) tel le contrôle des dispositifs de maintien sismique des relais ou le traçage du contrôle du relayage ou encore le remplacement des chemins de câbles après une analyse des défauts constatés, comme en juin 2006, sur le réacteur n°4. Mais à Cruas on ne fait pas ça, on innove.
Pour les contrôles sur les ancrages par chevilles à expansion (dite de type A2) des tuyauteries IPS : des défauts ont été constatés qui remettent en cause la tenue au séisme. L'entreprise sous-traitante a signalé par fiche son intervention mais après... mystère et boule de gomme. Bien que la réglementation l'exige (DI 55) aucune trace à Cruas en interne de l'intervention et de son suivi. L'ASN en a été contrainte de demander (à genoux?) "...de respecter les exigences de la DI55 pour l'ensemble des activités de votre site"
Silence sur les silent-blocs, question de doctrine
La note de l'ASN rappelle qu'en 1998 tous les silent-blocs nécessitaient d'être remplacés. Or, les inspecteurs ont constaté que certains silent-blocs étaient toujours en place (tel sous l’armoire 1 LHB 008CQ en tranche 1). Et de profiter pour évoquer que "sur le réacteur n°2, il reste deux supports RRI d'ancrages par chevilles des tuyauteries IPS qui devaient être remplacés lors du prochain arrêt en 2007". Mais le planning (courrier référence D4550.05-05/1257 du 6 avril 2005 puis courrier D4550.32-09/1546 du 6 avril 2009) a été remanié à plusieurs reprises : résultat, cette intervention qui aurait dû être terminée en septembre 2009, avec déjà une bonne marge, n'est pas encore réalisée.Et avec le même laxisme, le document "doctrine : conduite à tenir en cas de séisme" n'a pas encore été intégré dans les procédures du site de Cruas. Or, le courrier EDF ENSN090016 du 16/02/2009 demande une intégration par les sites avant mi-2009.
Et les inspecteurs de poursuivre qu'ils ont constaté "que le site... n'était pas totalement propre : outillage vraisemblablement périmé à terre, des déchets en sacs ouverts. De surcroît, plusieurs aires d'entreposage n'étaient pas identifiées,... une porte d'accès coupe-feu était maintenue ouverte et que cette porte ne pouvait ni s'ouvrir ni se fermer en raison d'un toron de câbles, maintenus par du scotch type tarlatane et passant au-dessus de celle-ci."
Et pour finir : deux cerises sur le gâteau
Lors de l'exercice de simulation d'un séisme, en salle de commande, les inspecteurs ont appris que toutes les personnes occupant un poste de commandement en cas de crise (PCD) habitent dans la même commune de Rochemaure... Autrement dit, si la route d'accès à partir de cette commune, se trouve endommagée par le tremblement de terre ou une inondation : personne ne peut rejoindre son poste ou encore s'échapper. Les inspecteurs susurrent : " Il serait souhaitable de clarifier cette situation."
Et, denier feu d'artifice, sur Cruas, " il n'existe actuellement pas de déclenchement aux petites vibrations : les alarmes se déclenchent sur seuil et aucun enregistrement n'est réalisé en dessous de ce seuil." Autrement dit, ici, on ne sait jamais ce qui se passe sous les pieds ou alentours. Pourtant, cette situation a été identifiée aussi à la centrale nucléaire de Fessenheim où en mai 2009, un séisme a été ressenti mais aucun enregistrement n'a été réalisé : le seuil de déclenchement des alarmes et d'enregistrement, tel que réglé, était supérieur au pic d’accélération de ce séisme. Un bon moyen de ne pas être réveillé.
* CNPE : Centre Nucléaire de Production Electrique
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Photos : DR et Next-Up
Commentaires
Bonsoir et, avec retard, un grand merci ! Récemment, il semble (?!) que le séisme n'ait pas affecté les installations nucléaires !!!!! Information, répression à sens unique, comme dans d'autres domaines...
Kenavo.
Merci MM,
mais, pour l'instant, nul ne sait si les installations nucléaires n'ont pas été "affectées".
le redémarrage prévu vendredi dernier, avec message officiel "tout va bien", s'est terminé par une inspection de l'ASN et un redémarrage prévu de Cruas ... le 19 décembre...
Peut-être...
Bref, on croise les doigts,
Gilbert
Par Jupiter ! Des centrales nucléaires sur une zone sismique ?! J'ai interrogé des spécialistes pour rassurer la population. #PasDeBileÀTchernobyl ☢️
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