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Manque de débit d’eau de refroidissement
Golfech (Tarn-et-Garonne), Bugey (Ain), Tricastin (Drôme-Vaucluse) : depuis le 22 juillet la liste des réacteurs atomiques mis à l'arrêt en urgence par EDF ou dont la production est abaissée, ne cesse de s'allonger. C'est que leur refroidissement n’est plus assuré à cause de la chaleur et des effondrement du débit des eaux des fleuves qui augmentent dangereusement le risque d’accident nucléaire. Nogent-sur-Seine et Chooz sont aussi concernés et, en vérité, l'ensemble du parc nucléaire tricolore. 58 réacteurs. Les arrêts pourraient se prolonger jusqu’au 30 juillet.
Le débit du Rhône est trop faible et a conduit au ralentissement de
plusieurs centrales nucléaires le week-end dernier : à la centrale du
Bugey (Ain), la capacité a dû être réduite de 910 à 500 mégawattheures
pendant quelques heures, les deux réacteurs de Saint-Alban (Isère) sont
passés de 1.335 mégawattheures à 851 pour le premier et à 929 pour le
second, Tricastin 2 et 4 sont soit en arrêt soit au ralenti alors que
Tricastin 1 est en arrêt pour tentative de prolongement de sa durée à 50
ans.
Pierre-Franck Chevet, l'ancien président de l'Autorité de sûreté
nucléaire (ASN), estimait en 2018 que les sites de huit centrales – sur
les 19 que compte la France – étaient « plus sensibles ».
Le plus grand consommateur d'eau en France : le nucléaire
Pour fonctionner, les réacteurs atomiques ont besoin d'être refroidit en permanence. L'eau nécessaire est puisée dans les fleuves ou le cours d'eau jouxtant les installations puis rejetée après augmentation de sa température par la centrale nucléaire. Les installations doivent aussi dissiper l'énergie thermique qui n'est pas transformée en électricité. Le nucléaire est le plus grand consommateur d'eau en France.
Avec l’épisode de canicule actuel qui selon les experts va se reproduire régulièrement, la température des rivières a fortement augmenté tandis que les débits s'effondraient conduisant à ce que les systèmes de refroidissement des installations nucléaires ne puissent plus jouer leur rôle. Effet délétère couplé : l'endommagement des faunes et flores locales du fait de l'augmentation de la température des eaux rejetées par les installations atomiques. Au-delà de 28 oC ou 30 oC peuvent nuire à la reproduction des poissons
et favoriser le développement d'algues et de végétaux aquatiques nocifs.
Les centrales nucléaires doivent respecter plusieurs critères concernant
les cours d'eau : la température de l'aval, la différence de
température entre l'amont et l'aval, et enfin un débit minimal. La température limite des eaux servant au refroidissement des réacteurs est fixée en général à
28 degrés. Les centrales situées sur des cours d'eau n'étant pas
autorisées à réchauffer l'eau de plus de 1.5°C. Ces limites varient
pour chaque centrale. Au-delà de ce seuil, EDF n'a plus le droit d'y rejeter d'eau
plus chaude, pour ne pas nuire à la faune et à la flore. En période de forte chaleur, il devient donc plus difficile de
respecter ces limites. Il peut même arriver que la température en amont
soit déjà supérieure à celle qui est autorisée en aval. Avec le nucléaire c'est la mort ou la mort.
D'autant que l'évacuation des effluents chimiques ou radioactifs représentent aussi une autre menace. Si la
réglementation impose des concentrations maximale en aval pour les
produits dangereux (tritium, iode, détergents...) rejetés par les
centrales nucléaires, ces limites sont difficilement respectés avec des débits d'eau faible. Mais qui va contrôler que les nucléocrates se plient aux règlements?
Et au cœur de la centrale, des températures élevées
peuvent, "en cas d'équipements sous-dimensionnés, affecter aussi le
fonctionnement des ventilations et les capacités de refroidissement des
systèmes de sûreté", indique l'Institut de radioprotection et sûreté
nucléaire (IRSN). Cela est déjà arrivé... Les températures maximales
de référence, fixées à la conception des centrales dans les années 1970,
ont été dépassées en 2003, poussant EDF à les réviser et à renforcer
ses équipements. Pendant la canicule, les systèmes d'urgence fonctionne aussi moins
bien. " En effet, les groupes électrogènes (ou "diesels") de secours sont
des matériels essentiels à la sûreté en cas d'accident... Mais leur
fonctionnement peu être altéré par de fortes températures
extérieures", craint l'Institut de radioprotection et sûreté nucléaire
(IRSN).
Arrêts réacteurs : aussi une température résiduelle considérable
A cela s'ajoute un problème de taille pour les atomistes : quand
on arrête un réacteur nucléaire, il est impératif pendant une durée
assez longue de continuer à refroidir le cœur du réacteur en raison de
la chaleur que le combustible irradié continue de dégager.
En effet,
si la réaction en chaîne est bien interrompue, les produits de fission présents dans le "combustible" continuent de
dégager de la chaleur par leurs désintégrations : c'est ce qu'on nome la "puissance
résiduelle". Il est donc crucial pour
éviter la fusion du cœur du réacteur et l'accident majeur d’avoir un
fort débit d’eau de refroidissement capable d'évacuer cette chaleur considérable par
l'intermédiaire des générateurs de vapeur. Alors, la chaleur dégagée ayant
suffisamment décru, un dispositif de refroidissement du réacteur à
l'arrêt prend le relais, nécessitant en permanence de l’eau de
refroidissement, mais en débit moindre. Toutefois les effluents
radioactifs qui sont toujours présents ne peuvent être rejetés et doivent être
stockés en vue de dilutions ultérieures lorsque les débits seront de nouveau normaux.
Les leçons passées ne servent à rien en nucléocratie
L'épisode caniculaire de 2003 n'aura donc pas servi de leçon aux nucléaristes. Ni celui de 2018, où quatre réacteurs refroidis par le Rhône ont du être
mis à l'arrêt pour cette raison, Golfech sur la Garonne n'y a échappé
que grâce à une dérogation demandée par RTE au nom de la sécurité de
l'approvisionnement en électricité. « On peut baisser la puissance d'un réacteur de 80 % en trente minutes et le faire deux fois par jour » fanfaronnent EDF. Heureusement toutefois que la demande électrique est modérée en
raison du ralentissement de l'activité économique (1) pendant l'été et que la réduction de la production nucléaire est compensée par les autres sources de génération d'électricité : éoliens et surtout le photovoltaïque qui marche à plein régime. Ce dernier devrait même assurer 10 % de la production d'électricité ce jeudi selon RTE (réseau de transport d'électricité) : cinq fois plus que d'habitude.
Solution mise en avant par le nucléariste pour palier à la canicule? Non pas développer les sources d'énergie renouvelable et stopper le nucléaire mais installer des tours aéroréfrigérantes. Comme si c'était la réponse adéquate au problème de la température des fleuves. Tricastin, Saint-Alban, Blayais, Bugey 2 et 3, Fessenheim n'en sont
pas dotées et se reposent donc entièrement sur leurs cours d'eau
respectifs pour se refroidir tout comme les centrales implantées en bord
de mer : Flamanville, Paluel, Penly et Graveline dont les limites de
température imposées sont moins contraignantes. Il est vrai que pour les technocrates de EDF, un réacteur sur deux en moyenne en est équipé de ces tours, donc on double le matos et... rien car si ces tours permettent de rejeter une eau moins chaude dans le fleuve, ces tours consomment en revanche davantage d'eau des fleuves car une bonne partie s'évapore. Mais on s'en fou car Il est vrai que jusqu'à présent EDF obtient sans grand mal des dérogations à la réglementation pour poursuivre sas activités et le refroidissement des centrales au-delà des limites prévues.
Et ne parlons pas des inondations, tempêtes, pluies diluviennes à venir qui impacteront les équipements encore moins bien protégés que les réacteurs telles
les prises d'eau peuvent être bouchées par des débris en cas de crues,
le réseau électrique (transformateur explosé) et de secours (diesel de secours hors d'usage),les routes (détruites et
endommagées, impraticables), les télécommunications (rupture des émetteurs
et relais)... "Si ces diesels ne produisent pas la puissance nécessaire en cas
d'accident, là c'est un vrai problème de sûreté", explique Olivier
Dubois (IRSN), quand la température de l'air augmente, le rendement du moteur
baisse." N'oublions pas que les centrales nucléaires situées dans le quart
sud-est (de Dijon au nord jusqu'à la Méditerranée et Toulouse et à
l'ouest jusqu'aux Alpes) dépendent toutes d'un seul et unique cours
d'eau : le Rhône.
Le hic technique incontournable que les nucléocrates ne veulent pas qu'on sache
Avec les canicules, il ne sera pas possible d'adapter les centrales nucléaires. Canicule, sécheresse, inondations : le nucléaire ne pourra pas faire face aux aléas climatiques, non pas uniquement par incompétence d'ingénierie et technologiques (ça ils connaissent) ou financière (pour ça ils savent faire banquer les usagers et contribuables) mais à cause de Sadi. Sadi ? oui Sadi Carnot. Celui des plaques de rue qui parsèment nos villes. Et que dit le scientifique Sadi ? : qu'une hausse de températures entraîne la baisse du rendement d'une turbine à vapeur. Et les centrales nucléaires fonctionnent sur le principe des machines de Carnot : la turbine à vapeur (générateur de vapeur) dont la vapeur est générée par l'eau portée à ce stade par la réaction atomique entraine un alternateur qui produit de l'électricité.
Or, en thermodynamique, la turbine produit du mouvement à partir de deux températures : une source chaude (le circuit primaire de la centrale, lui-même chauffé par la réaction nucléaire) et une source froide, un fleuve ou un océan (2). Pour une centrale nucléaire dont la source chaude est à 300°C environ et
la source froide à environ 10°C (donc respectivement 573 et 283 degrés
Kelvin), le rendement devrait donc être de 50%. En fait il s'agit d'un
rendement maximal, très théorique : le rendement d'une turbine réelle
est généralement inférieur de l'ordre de 10 points.
Effet du réchauffement climatique : si la température de la source froide augmente, le rendement de la centrale va diminuer. Pour la même quantité de "combustible" nucléaire, on produira donc moins d'électricité. Une augmentation de 1°C, par exemple, entraîne une perte de rendement de l'ordre de 0.1 à 0.2 points (3). C'est eu diraient certains mais c'est aussi beaucoup d'argent et de capacité réelles de production en moins.
Si la chaleur en tant que telle pose donc problème aux réacteurs nucléaires
c'est notamment le réchauffement qui augmente le risque de catastrophe. Car les centrales des années 70-80, celles de France donc, construites selon les plans vendus par les états-uniens de Westinghouse, n'ont pas été conçue pour y résister (4) .
Et comme les sécheresses font baisser le débit des fleuve, le
refroidissement des centrales atomiques est compromis. S'il n'y a plus
assez d'eau pour assurer le refroidissement de la turbine celle-ci ne
peut tout simplement plus fonctionner, pas d'aménagement possible. Et pas certain que les autres utilisateurs de l'eau en amont et en aval
(barrages hydroélectriques, agriculteurs, usagers domestiques et
industriels,...) acceptent de bon coeur de réduire leurs besoins pour le
seul bénéfice du nucléaire.
JP.S
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(1) En dix ans, la consommation de l'éclairage a été divisée par cinq, celle
des téléviseurs par quatre et des réfrigérateurs par trois.
(2) Si on appelle Tc la température de la source chaude en Kelvin
(c'est à dire sa température en degrés celsius à laquelle on a ajouté
273.15) et Tf la température de la source froide, le rendement de cette
machine est égal à 1 - Tc/Tf.
(3) Cet effet a par exemple été évalué lorsque la Turquie a choisi l'emplacement de sa première centrale nucléaire : en raison de la différence de température entre les deux mers, la production d'électricité d'un réacteur situé sur la cote méditerranéenne sera inférieure d'environ 3% à celle du même réacteur construit sur la Mer Noire.
(4) La centrale en construction de Barakah aux Emirats Arabes Unis qui sera confrontée, si elle voit le jour, à des températures inconnues sous nos latitudes et utilisera pour se refroidir l'eau du Golfe Persique qui atteint 35°C en été, a été conçue sur le modèle de celle de Shin-Kori en Corée du Sud qui utilise l'eau déjà chaude de la mer du Japon. Adapté par des condenseurs renforcés, un système de mélange de l'eau de refroidissement avec de l'eau de mer avant son rejet pour limiter l'échauffement à 5°C, brise-lame de 15km pour empêcher que l'entrée d'eau soit réchauffée par l'eau rejetée... A l'opposé, des réacteurs nucléaires soumis à des températures beaucoup plus basses peuvent être mis en difficulté tel l'an dernier en Suède et en Finlande.
Commentaires
dans mon roman Demain Fukushima, j'avais imaginé un scenario catastrophe dans lequel, après trois années de fortes chaleur et de sécheresse, l'eau pompée était trop chaude pour refroidir les réacteurs. Je n'étais pas tombée loin.