Tricastin : incident sur le réacteur nucléaire n°2 et contamination d'un salarié sous-traité
Par Rédaction le vendredi 19 juillet 2019, 18:48 - Tricastin - Lien permanent
4 jours que le réacteur n°2 d'EDF au Tricastin a été arrêté en urgence. 4 jours alors que le 14 juillet, EDF annonçait relancer sa machine infernale rapidement en 24 heures chrono. Mais depuis, de report en report, le nucléariste a été contraint de révéler qu'un travailleur "cordiste" sous-traité a été contaminé lors d'une manipulation de matériel. Mais que s'est-il donc passé réellement dans le bâtiment auxiliaire nucléaire commun aux réacteurs 1 et 2 alors que le Pdg, Jean-Bernard Levy, venait encourager ses troupes pour le prolongement des réacteurs atomiques au-delà de 40 ans ? A-t-on frôlé ou sommes-nous est en train de subir un accident nucléaire?
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Sur le site de RTE (Réseau Transport Electricité, 100% filiale de EDF), une simple mention en cette soirée de Fête Nationale : "Groupe Tricastin 2, Date et heure de la première publication 14/07/19 18:52, Cause de l'arrêt : Indisponibilité fortuite, Forced unavailability, Prévision de fin de l'arrêt : 15/07/19 19:30, Puissance nominale de l'unité : 915 MW, Puissance disponible : 0 MW". Autrement dit, même si ce n'est pas avoué et jamais reconnu : arrêt d'urgence du réacteur 2. Plus un kilowatt de produit. Pourquoi ? mystère et boule de gomme. Le site internet de l'ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) n'en parle même pas quant à lui. Pas au courant sans doute.
Le lendemain matin, veille de la venue du big boss d'EDF pour dynamiser ses troupes en charge du prolongement du réacteur 1 au-delà de 40 ans d'épuisement et de dégradations, bis-repetita : "Date et heure de la dernière mise à jour 15/07/19 09:42, Cause de l'arrêt : Indisponibilité fortuite.... Prévision de fin de l'arrêt : 16/07/19 23:00, ... Puissance disponible : 0 MW". Bon, il devient clair qu'on a un sacré problème et qu'il n'est pas possible de relancer la bête. On décale de 24h et on ne dit rien à personne. Fuite radioactive ? pas fuite radioactive? motus et bouche cousue.
Le PDG est là... mais pas pour ça
Mardi 16 juillet, le PDG national est dans les murs. Heureusement qu'il ne suit pas au jour le jour la production d'électricité d'origine atomique et encore moins les incidents et accidents nucléaires. Sinon il aurait pu découvrir une brève info sur le site internet de sa filiale : " Date et heure de la dernière mise à jour 16/07/19 10:10, Date et heure de la première publication 14/07/19 18:52, Cause de l'arrêt : Indisponibilité fortuite Forced unavailability, Prévision de fin de l'arrêt : 17/07/19 23:00.... Puissance disponible 0 MW" On espère le redémarrage pour le lendemain avant minuit, l'heure du crime. Mais, quelques heures plus tard...
Mercredi 17 juillet, le feuilleton commence sérieusement à prendre une vilaine tournure, surtout qu'à nouveau la veille en fin de journée : "Date et heure de la dernière mise à jour 16/07/19 19:20, Cause de l'arrêt : Indisponibilité fortuite - Forced unavailability, Prévision de fin de l'arrêt : 18/07/19 14:00, Puissance disponible : 0 MW". Et le jour même au petit matin : " Date et heure de la dernière mise à jour 17/07/19 03:55, Cause de l'arrêt : Indisponibilité fortuite - Forced unavailability, Prévision de fin de l'arrêt : 18/07/19 18:00, Puissance disponible : 0 MW"
Le 18 juillet ressemble aux jours précédents. Même scénario que depuis le 14 juillet. On reporte encore et encore. Démarrage assuré pour 14h! Ah ben non ce sera finalement 18h. On ne maîtrise visiblement pas ce qui se passe sur place. Ou on cherche à étouffer quelque chose. Allez, promis-juré ce sera le "19/07/19 12:00". Certain, cette fois c'est la bonne. Euh...., bah non.
Derrière l'arrêt d'urgence : la contamination d'un salarié, au moins...
Entre-temps, le 16 juillet 2019, l’exploitant de la centrale nucléaire du Tricastin, est contraint de révéler à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif. Autrement dit un "incident" nucléaire. L'institution ne le rendra laconiquement publique et sans aucun détail que le lendemain 17 juillet. Et quand a-t-il eu lieu, cet incident ? Bah pas moins que cinq jours plus tôt, le 12 juillet 2019, ... quelques jours, 96 heures, avant l'arrêt d'urgence du 14 juillet. La nucléocratie appelle cela : Transparence et information du public. On à tous le temps de crever.
En attendant, derrière cet incident se révèle qu'un travailleur sous-traité d'une entreprise extérieure, un "cordiste" chargé de se mouvoir au bout d'une corde pour effectuer tous types d'interventions dans les endroits souvent les moins accessibles d'un réacteur, a été contaminé. Il a morflé en une seule fois plus de 25% de la dose annuelle maximale individuelle imposée aux salarié-es du nucléaire (20 millisieverts pour le corps entier et 500 millisieverts pour une surface de 1 cm2 de peau). Vous en reprendrez bien une petite dose?
Au détour du communiqué de l'ASN, qui vient de le classer au deuxième niveau de l'échelle INES (étage 1), on apprend que l'incident nucléaire s'est produit "dans le bâtiment des auxiliaires nucléaires commun aux réacteurs 1 et 2". Tiens, tiens. Le réacteur 1 est à l'arrêt pour de très longs mois depuis le mois de juin, donc le problème concernerait une intervention sur le réacteur 2, lié ou qui a conduit à son arrêt en urgence.
Alertée et de concert avec le CAN84, l'organisation Next-up prévoie une Intervention indépendante in-situ pour le 20 juillet 2019 afin d'effectuer des mesures radiologiques de rejets gazeux et liquides.
Des témoignages accablants
"Selon de nombreux témoignages recueillis depuis plusieurs mois par Mediapart auprès de personnes travaillant à la centrale nucléaire du Tricastin, les problèmes s’accumulent sur ce site depuis deux ans. Au point que des incidents sont amenuisés et déclarés avec retard à l’ASN. Tout cela dans l’espoir de ne pas dégrader les indicateurs évaluant le niveau de sûreté du site." ainsi écrit la journaliste Jade Lingaard . Et d'ajouter "Cette situation inquiète des agent·e·s et prestataires. Cette démarche est extrêmement rare de la part de personnel du nucléaire, soumis au secret professionnel et habituellement méfiant envers les journalistes. La multitude des faits rapportés révèle un problème systémique entre les murs de la centrale nucléaire la plus sensible de France. Il ne s'agit pas seulement de l'accumulation d'incidents isolés mais d'une attitude répétée, et dirigée toujours dans le même sens: rendre public aussi peu de problèmes que possible"
Sur des photos publiées dernièrement par le site d'enquêtes, et prises en janvier 2017 dans le bâtiment des auxiliaires nucléaires (BAN), en zone contrôlée, on constate des entreposages sauvages de poubelles. Un capharnaüm qui "crée des risques radiologiques supplémentaires pour les agen·te·s et lessous-traitant·e·s." Comme le dit le journal en ligne Médiapart : "Nous avons choisi de qualifier les agissements d'EDF de triche, car l'exploitant joue avec les mots et ruse avec les règles dans le but d'améliorer l'image de cette centrale si importante pour le devenir du parc nucléaire..."
Des questions en suspend
Dans ces conditions, plusieurs questions se posent auxquelles nous espérons que EDF et l'ASN répondront :
1) quelle est l'origine concrète (les origines) de l'arrêt du réacteur n° 2 du Tricastin ?
2) quels travaux effectuaient le "cordiste" et où précisément ? Dans le bâtiment ? Sous le bâtiment ? En zone radioactive contrôlée ?
3) Y-a-t-il eu des rejets radioactifs et de quels natures ?
4) Pourquoi la contamination du salarié n'a-t-elle pas été déclarée aussitôt à l'ASN ?
5) Pourquoi l'ASN n'impose-t-elle pas le non-redémarrage du réacteur 2 du Tricastin ?
Nul doute que les intéressés gagneraient en crédibilité en répondant à ces simples questions publiques.
A-t-on frôlé ou sommes-nous est en train de subir un accident nucléaire?
EDF a laissé entendre qu'un problème se serait produit sur le "Circuit d’injection de sécurité" du réacteur nucléaire n°2. Lorsque l'on sait (source ASN) que le circuit d’injection de sécurité (RIS) permet, en cas d'accident causant une brèche importante au niveau du circuit primaire du réacteur, d'introduire de l'eau borée sous pression dans celui-ci et que le but de cette manœuvre est d'étouffer la réaction nucléaire et d'assurer le refroidissement du cœur. Le niveau d'incident indique qu'on a frôlé ou qu'on est en train de subir un accident nucléaire.
Le circuit d'aspersion de l'enceinte (EAS) pulvérise, en cas d'accident, de l'eau contenant de la soude dans l'enceinte du réacteur. Son objectif est de conserver l'intégrité de l'enceinte du réacteur, en diminuant la pression et la température à l'intérieur, et d'éliminer l'iode radioactif présent sous forme gazeuse. Dans un premier temps, ces deux systèmes de sauvegarde sont alimentés en eau par des réservoirs. Ils sont ensuite alimentés par des puisards qui récupèrent en bas de l'enceinte l'eau déjà injectée. Afin de permettre ce passage en recirculation, le niveau d'eau dans ces puisards doit être supérieur à un niveau minimal. Ce niveau, spécifié dans les règles générales d'exploitation du réacteur, permet en effet de s'assurer de la manœuvre de vannes participant à la réalimentation des systèmes d'injection de sécurité et d'aspersion de l'enceinte.
Ce vendredi 19 juillet 2019, EDF annonce un redémarrage du réacteur pour samedi 20 juillet 2019 à 23:00. Pour tout le monde le mieux serait de le mettre à l'arrêt définitif et de passer à autre chose.
JPS
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photos : DR, Next-Up, CAN84
Commentaires
EDF s'arrange avec la réalité :
sur son site internet, EDF affiche publiquement ses mensonges. Qu'on en juge : "Déclaration d’un événement significatif sûreté de niveau 1 (échelle INES) concernant le dépassement du délai de remise en état d’un matériel. Publié le 18/07/2019. Le 14 juillet 2019, lors d’essais de fonctionnement du circuit d’injection de sécurité (RIS) de l’unité de production n°2, un défaut de fonctionnement a été détecté sur une vanne du circuit. L’unité de production a été arrêtée pour réparer la vanne. Cette maintenance a été réalisée en 37 heures. Or, les règles d’exploitation demandent que cette opération soit effectuée en moins de 24 heures. Cet événement n’a eu aucun impact sur la sûreté. L’unité de production n°2 est en cours de redémarrage. Compte-tenu du dépassement de délai, un événement significatif de sûreté de niveau 1 sur l’échelle INES, qui en compte 7, a été déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire le 17 juillet 2019."
Fabuleux ! Du pur style tactchéro-macroniste.
A ce jour, à cette heure le réacteur n'a toujours pas redémarré.
( https://www.edf.fr/groupe-edf/nos-e... )