Marcoule-CEA : incident nucléaire-risque de criticité sur le réacteur de recherche "Phénix" en cours de démantèlement
Par Rédaction le samedi 28 juillet 2018, 16:50 - Marcoule - Lien permanent
Le réacteur de recherche à neutrons rapides et sodium Phénix/INB n°71 du
Commissariat à l’énergie atomique à Marcoule fait encore parler de
lui. En mal. On y a frôlé le risque de criticité lors du déplacement d’étuis d’aiguilles de produits de fission. L'incident détecté en interne le 19 juin 2018 n'a été mentionné par l'ASN sur son site internet que le 5 juillet 2018. La transparence et l'information des riverains ne sont toujours pas à l'ordre du jour. Les menaces et atteintes sanitaires : si.
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Le réacteur de recherche à neutrons rapides Phénix/INB n°71 (1) du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) à Marcoule dans le Gard fait encore parler de lui. En mal. Phénix est ce prototype de la filière des réacteurs à neutrons rapides (RNR) refroidis au sodium qui visait à lancer à tout prix une filière abandonnée plus tard (Super Phénix de Creys Malville). Un décret du 5 juin 2016 en a prescrit le démantèlement après que ce réacteur d’une puissance électrique de 250 MWe a été définitivement arrêté en 2009.
Un démantèlement à l'image des quelques rares en cours ailleurs : compliqué et difficile à planifier autre que au coup par coup. Ici il faudra aussi arriver à transformer en soude le sodium provenant de l’installation Phénix (et d’autres installations du CEA). On cogite sur une installation spécifique indispensable à cette effet. Ca n'avance pas vite mais on a déjà son nom : "NOAH". Et il faudra après une autre installation pour neutraliser la soude issue de l’installation NOAH. Son nom est arrêté : ce sera INES. Bon, ça c'est vu mais il faudra également un atelier de carbonatation des « pièges à césium ». Là encore le nom de baptême est dans les tuyaux : SHADE.
Tout ceci est soumis à un accord préalable de l’ASN au vue de la complexité mortelle de certaines opérations et de la nécessaire mise à jour du référentiel de sûreté. Histoire d’y intégrer des éléments comme, par exemple ce "détail" de la gestion des déchets (que Areva-Orano doit traiter à la Hague dans son installation usine UP2-800... qui doit être mise à l'arrêt) ou encore de la mise à jour du plan d’urgence interne. Et qu'on se rassure, lorsqu'on lance une installation nucléaire on voit loin (pas en terme de durée de fonctionnement, de coûts et d'atteintes sanitaires ou menaces) : la date du prochain réexamen de la situation devra intervenir au plus tard le... 31 octobre 2022. Le décret autorisant la création de l'installation Phénix, exploité avec la collaboration de EDF, avait été pris le 31 décembre 1969. Même arrêté le nucléaire c'est des emplois en pagaille. Et toujours à haut risque.
Risque de criticité et d'emballement destructeur uranium/plutonium
Cette fois-ci on a donc frôlé le risque de criticité lors du déplacement d’étuis d’aiguilles combustibles dans le local de "stockage des éléments neufs" (SEN). 12 étuis contenant ces "aiguilles" ont été amenées et regroupés en partie centrale du stockage. Sauf que au regard du risque de criticité cet entreposage n'aurait jamais du avoir lieu là. D'autant que les règles destinées à la maîtrise du risque de criticité pour ce local ne prévoient pas cette configuration. Un peu le "coup de l'aiguille dans une meule de foin", notamment en plein été et par 40° à l'ombre. Aller y retrouver vos petits. Explosif ! L’ingénieur en charge de l’application des règles de sûreté-criticité de l’installation n'en croit pas ses oreilles. Il n’a été informé de cette opération... qu’après sa réalisation.
Les assemblages de produits de fission irradiés (improprement appelés "combustible") dans le réacteur sont constitués de très gros, très très gros tubes (appelés "crayon" dans un réacteur de centrale nucléaire) d’aiguilles fissiles et d’aiguilles fertiles. Les aiguilles fissiles, composées d’éléments fissiles notamment l’uranium 235 (2) et le plutonium 239 (3), sont les constituants de la réaction en chaîne provoquée. Les aiguilles fertiles, constituées d’éléments fertiles notamment l’uranium 238 (4), vont se transformer en éléments fissiles sous l’effet de l’irradiation.
Cette installation est avec ces autres bâtiments une véritable centrale nucléaire qui ne produit pas d'électricité.
Une information à retardement
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) n'a mentionné l'incident de criticité que le 5 juillet 2018 sur son site internet (5). Elle en avait pourtant été informée 14 jours plus tôt le 21 juin 2018. Quant aux faits ils avaient été détecté eux le 19 juin 2018 et après coup. Qui va piano va sano ?
Alors, évidemment comme toujours en ces circonstances, le disque rayé est activé par la nucléocratie : "cet événement n’a eu aucune conséquence sur la sûreté, la sécurité des personnes ou l’environnement de l’installation". Toutefois, pour donner le change administratif et légal, l’ASN a classé provisoirement cet événement significatif au niveau 1 de l’échelle INES (6) en raison du non-respect d’une règle de criticité. Et le CEA doit transmettre à l’ASN sous deux mois un rapport d’analyse complet pour identifier l’origine de ce dysfonctionnement et présenter les mesures correctives et préventives prises pour éviter qu’il ne se reproduise. Les gros yeux après la connivence...
JPS
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(1) Les neutrons libérés lors de la fission se déplacent à très grande vitesse : 20 000 km/s. Leur énergie est de l'ordre de 2 millions d'électronvolts et leur énergie cinétique est très supérieure à celle des neutrons thermiques.
(2) L'uranium (symbole U, numéro atomique 92) se trouve à l'état de trace dans la croûte terrestre et l'eau de mer. C'est un métal lourd radioactif (émetteur alpha) de période très longue : environ 4,5 milliards d'années pour l'uranium 238 (238U), environ 700 millions pour l'uranium 235. L'uranium 235 (isotope 235U) est le seul élément fissible naturel. Sa fission libère une énergie voisine de 200 MeV par atome fissionné. Un million de fois supérieure à celle des combustibles fossiles à masse équivalente.
(3) Le Plutonium (symbole Pu, numéro atomique 94) n'existe pas dans la nature. Il est produit artificiellement par l'humain et sert à la bombe atomique. Le plutonium 239 (239Pu) qui est fissile est ainsi produit dans les réacteurs nucléaires dit "civil" à partir de l'uranium 238 (238U) par absorption d'un neutron. Sa manipulation est un risque mortel qui exige des précautions extrêmes du fait de sa toxicité et de ses rayonnements alpha tueurs.
(4) Un gramme d'uranium 238 présente une radioactivité de 12 434 Bq. Un kilogramme d'isotope 238U pur est le siège de 6,71 fissions spontanées par seconde.
(5) https://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Avis-d-incident-des-installations-nucleaires/Non-respect-d-une-regle-de-criticite
(6) graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité.
Pour l'historique de Phénix : se reporter sur https://www.asn.fr/Informer/Actualites/Demantelement-de-la-centrale-Phenix-de-Marcoule
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