Procès d'EDF contre Greenpeace : 200 antinucléaires en soutien aux militants poursuivis en justice
Par Jean Revest le samedi 19 mai 2018, 09:34 - Ardeche - Lien permanent

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Près de 200 personnes, dont des militants de la Coordination antinucléaires du sud-est, se sont retrouvés ce jeudi 17 mai au petit matin devant le tribunal de Privas où étaient poursuivis par EDF 22 activistes (et le directeur de campagne "nucléaire" de Greenpeace*) qui avaient pénétrés dans l'enceinte de la centrale atomique de Cruas (Ardèche) pour en dénoncer le manque de sécurité.
Les dommages et intérêts demandés par EDF contre les lanceurs d'alerte ont un caractère "punitif" : la Direction de la centrale nucléaire de Cruas demande 500 000 euros à l'ONG au titre du préjudice subi et, au total, l'entreprise
nucléocrate demande plus de 1,2 million d'euros au titre des préjudices
moral et matériel. Le procureur réclamant de son côté des peines d'emprisonnement.
Parmi les "prévenus" l'Ardéchois Sébastien Absolu tient à préciser à la presse l'état d'esprit des activistes : "On estime que les actes menés sont légitimes. On est en accord avec notre conscience." Après que les activistes soient rentrés au compte-goutte dans le palais de justice et que seuls quelques proches aient eu le droit de rentrer dans la salle d'audience comble, le procès commence à 9 heures. L'audience qui s'est terminé vers 18h et dont le jugement a été mis en délibéré et sera rendu le 28 juin 2018 a connu bien des rebondissements.
Une audience animée, un rapport de force
Tous unis contre ceux et celles qui osent relever la tête. Comme une seule force d'oppression EDF, le Procureur de la République et le Président du tribunal se sont inscrit dans un rapport de force où le citoyen doit plier et se taire, et pour ce dernier les enjeux sont clairs « Ce procès est un procès de la forme. On peut imaginer qu’il y a d’autres façons d’exprimer ses convictions ». Que chacun-e rentre dans le cadre fixé par les dominants et tout continuera comme avant. Surtout pas de grain de sable dans la mécanique de l'ordre dominant. Et Pierre-Yves Michau, le procureur de la République, d'enfoncer le clou. « Dans un état de droit, c’est une façon convenable de faire prévaloir vos idées que de violer la loi ? » On croit revivre Notre-Dame des Landes et la répression féroce de l'Etat ou bien Bure et le bois Lejuc avec cette même violence d'Etat contre les défenseurs de la planète et de la vie, contre ceux et celles qui envisagent et agissent pour un autre monde. Ou encore Sivens jusqu'au meurtre de Remy Fraisse.
« Nous voulions montrer une faille de sécurité flagrante. On rentre dans
une centrale nucléaire avec une échelle. Il suffirait d’être mal
intentionné pour provoquer une catastrophe nucléaire. » précise Titouan Billon au nom des activistes. Et le directeur de l'ONG d'affirmer que « Ces actions sont
nécessaires, légitimes et utiles. Les rapports ne suffisent pas. A un
moment donné, il faut aller plus loin et provoquer le débat public. Les
militants n’avaient aucun intérêt personnel. Ils l’ont fait au sens de
l’intérêt général. »
Notre sainteté l'atome
Contre toute vérité, Christophe Chanut, le directeur du site atomique d'Ardèche n'hésite pas a dire qu'il "considère que la centrale de Cruas est robuste" avec, il est vrai, un nuance de taille : "ça ne veut pas dire que rien ne peut arriver..." Effectivement, d'autant que Norbert Tangy, ancien ingénieur d'EDF directeur de centrale, admet que "L'alerte de Greenpeace est justifiée!" et d'ajouter : "je prends très au sérieux l'alerte des militants de Greenpeace (...) d'autant plus dans un contexte où EDF demande d'augmenter la durée de vie des réacteurs au delà de 40 ans. Je comprends les personnes qui entrent dans les centrales. Elle n'ont plus confiance."
Et face au propos des antinucléaires assurant que l'épaisseur des murs autour des piscines d'entreposage des combustibles ne mesurent que 30 centimètres la Direction d'EDF ressort les mêmes boniments afin que le petit peuple se rassure. Le bâtiment où se trouve les piscines à Cruas seraient "capables de résister à une chute d'avion". Toujours les mêmes affirmations d'autorités sans preuve aucune. Pourtant le physicien (à la retraite) du Commissariat à l’Energie Atomique, Bernard Laponche, d'enfoncer le clou : "Les bâtiments des piscines sont des bâtiments normaux. Ils ont été construits sans préoccupation de sécurité par rapport aux agressions extérieures."
Des peines et dommages/intérêts pour museler la contestation
Le procureur de la République, Pierre-Yves Michau, qui qualifie l'opération de Greenpeace de "ridicule, irresponsable et dangereuse" n'apprécie visiblement pas le courage et la détermination des "petits" face aux géants dominants. Alors autant tenter de détourner le fond de ce qui est en cause "Est ce que vous jugez vos arguments trop faibles, pour basculer dans ce type d'action ?". Histoire de faire de la menace atomique une simple discussion de salon. Et le parquet qui s'exprime au nom de l'Etat (oups pardon du peuple français) de requérir toutefois 30 000 € d'amende contre l'organisation environnementaliste et 6 mois d'emprisonnement avec sursis contre 19 militants et 4 mois de prison ferme contre les trois militants déjà sous le coup d'une peine de sursis.
Commentaires
Rendu du jugement ce 28 juin 2018 : Le verdict refuse de traiter la désobéissance civile comme un délit de droit commun.
Des peines de prison avec sursis, une relaxe, des dommages et intérêts limités : la justice s’est montrée plutôt clémente pour les activistes qui s’étaient introduits dans la centrale nucléaire de Cruas.
Avocat de l’ONG, Alexandre Faro, explique que « le résultat est excellent. EDF a fait des pieds et des mains pour obtenir une loi créant un délit spécifique pour l’intrusion dans les centrales nucléaires, la loi Ganay de juillet 2015, choisi un avocat offensif et au final, les militants de Greenpeace ont les peines habituelles. EDF obtient 50 000 euros pour préjudice moral et 10 000 euros de provision mais ils avaient demandé 1,2 million d’euros. Greenpeace a atteint son objectif : le sujet de la sécurité des centrales et de la vulnérabilité des piscines de combustible est sur la table ».
À Thionville (Moselle) en février dernier, la justice avait condamné deux activistes de Greenpeace à deux mois de prison ferme pour leur intrusion dans la centrale de Cattenom (ils avaient un casier judiciaire), les quatre autres écopant de peines avec sursis. Un appel est en cours, sans date de rendu pour l’instant.
Les militants antinucléaires ne sont pas des voyous, ils alertent et combattent le crime atomique. Ce sont les dirigeants du nucléaires et leurs relais politiciens qui méritent la prison.
Il faut bien constater que les réquisitions du Procureur de la République s’inscrivent dans un changement total de positionnement de l'Etat visant à recriminaliser les mouvements militants (y compris environnementalistes "non violents") notamment antinucléaires comme dans les années 70.
Aussi bien les ONG qu'EDF et l’État se retrouvent en accord sur les raisons de ce "changement de paradigme" : le risque terroriste s’accroît.
Ce jugement vient illustrer ce que le CAN84 à toujours dit et dénoncé: ces actions de Greenpeace si spectaculaires (et pourvoyeuses de dons) servent, malheureusement, la nucléocratie qui trouve là matière à renforcer non pas la sûreté des installations nucléaires mortelles ni l'indispensable mise à l'arrêt immédiate mais la sécurisation militaire de son parc atomique. Et dorénavant, le moindre militant antinucléaire qui se promènera non loin d'une INB verra fondre sur lui la force gendarmesque bottée et casquée. On dit merci à qui ?
( Cette analyse-critique n'a pas empêché les antinucléaires du CAN84 de venir soutenir à Privas les activistes de Greenpeace, exiger leur libération et relaxe, bien que GP ne soit pas venu soutenir les antinucléaires du sud-est poursuivis en justice par Areva en septembre 2017 à Paris.)