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Le programme de recyclage de produits de fission  nucléaires (combustible) japonais étant à l’arrêt depuis la catastrophe nucléaire de Fukushima, l'accumulation d'un stock de plutonium suffisant pour fabriquer plusieurs bombes atomiques suscitent plus l'intérêt que l’inquiétude de la "communauté"  dite internationale. Le Japon se voit donc proposé différente "scenarii" afin de ne pas se soustraire à l'interdiction de recours à l'arme nucléaire tout en rentabilisant son stock et en jouant sa partition en Asie.

De quoi fabriquer 5.000 têtes nucléaires

Le Japon détient actuellement 157 tonnes de plutonium. 100 tonnes sont entassées sur les sites de ses centrales nucléaires et les autres 60 tonnes ont été acheminées vers des centres de retraitement en partie japonais mais pas uniquement puisque sur les 45 tonnes déjà séparées 35 tonnes sont stockées... en France et au Royaume-Uni. Il y a là de quoi fabriquer 5.000 têtes nucléaires.

stock-plutonium_japon.jpgLes pays atomiques poussent donc le Japon à utiliser le plus possible dans ses réacteurs ses réserves de plutonium issus de ses centrales atomiques dites civiles sous forme de traficotage en Mox (mélange d'oxyde de plutonium et d'oxyde d'uranium). Or, comme les réacteurs nucléaires nippons susceptibles d'être gavés de Mox à base de plutonium sont à l'arrêt depuis la catastrophe toujours en cours de Fukushima-Daïchi et qu'il en est de même de l'usine de fabrication de Mox (construite depuis 1993 en partenariat-conseil-assistance d'Areva) à Rokkasho dans le nord du pays : problème. Et illustration que nucléaire militaire et nucléaire civil ne font qu'un.

C'est dans ce sens que l'états-unienne Rose Gottemoeller, sous-secrétaire d’État au contrôle des armes et de la sécurité internationale des USA, martèle que le Japon doit achever à tout prix son programme de retraitement et consommer son plutonium sous la forme de MOX dans ses propres réacteurs (et ainsi produire encore plus de plutonium). Donc relancer le nucléaire dit civil au Japon malgré l'opposition de la population et de la majorité des collectivités publiques (dans ce pays les municipalités et autres "collectivités" ont leur mot à dire sur le nucléaire).

Difficile de relancer le nucléaire lorsque les peuples n'en veulent pas

18 réacteurs nucléaires minimum devraient ainsi être relancés pour absorber le stock de plutonium moxé et dont le processus s'achève provisoirement par la création de nouveaux et mortels... déchets nucléaires à haute toxicité. Le serpent perfide et sordide se mord la queue. Lorsqu'on a mis le doigt dans le nucléaire fusse-t-il civil c'est la catastrophe qui commence.

Deuxième problème de taille : on ne sait pas si c'est techniquement possible au Japon car la chaîne de retraitement, construite à Rokkasho en partenariat avec Areva (centre de stockage, de retraitement et d’extraction de plutonium puis de fabrication du mélange d'oxydes de plutonium et d'uranium MOX) n’est jamais entrée en fonction ! Malgré un coût exorbitant de 20 milliards d’euros auquel le Japon doit provisionner et ajouter dès à présent 80 milliards d’euros supplémentaires pour son futur démantèlement. Et déjà sa capacité de stockage de "combustibles" usés radioactifs frôle la saturation... : 90% de la capacité disponible des piscines sont déjà atteint avec plus de 2.834 tonnes de déchets nucléaire dont un certain nombre potentiellement recyclables en Mox. Mais c'est loin d'être assuré.

japon_volcan.jpgTroisième problème : Le contexte international depuis le 11 mars 2011, date du début de la catastrophe atomique de Fukushima. Il se traduit par une forte chute de la demande en Mox (uniquement produit à ce jour par Areva à Marcoule dans le Gard) pour les réacteurs nucléaire ordinaires. Chute de la demande à laquelle s'ajoute une baisse de débouchés pour le plutonium à l'état brut et dont les surgénérateurs seraient (selon les fanatiques de l'impossible transmutation atomique) potentiellement l'étape d'absorption (2); à l'image du projet fou "Astrid" à Marcoule (Gard) que l’État aux ordres de la caste nucléariste tente d'imposer en France après l'arrêt de la construction du "super-phénix". L'échec retentissant de celui de Monju (3) au Japon est là pour en attester : situé sur une faille sismique et après une cascade d’accidents, dont une fuite de sodium qui a provoqué un important incendie, le super-générateur tant vanté par les nucléocrates du C.E.A n’a été en capacité de fonctionner... que pendant une heure en 20 ans!

L'occident, USA en tête, relancent l'impérialisme et la guerre froide

Quatrième problème et non des moindres : le fonctionnement à fond de la capacité de retraitement du site de Rokkasho permettrait de produire annuellement une quantité de plutonium séparé de 8 tonnes. Suffisant pour fabriquer 1.000 bombes atomiques. Et dans le rapport de forces international qui situe dorénavant pour l'occident la Chine comme nouvel ennemi : le Japon a son rôle à jouer.

kerry-japon.jpgC’est donc du sol japonais que les États-Unis viennent de décider d'affronter la Russie, la Chine ou tout autre pays qui oserait ne pas se soumettre à leur impérialisme. Dans cette stratégie de la tension les Japonais seront inéluctablement les victimes directs de leurs prétendus protecteurs.

Et, saisissant cette opportunité, les USA ont mis 2 fers au feu. Ils ont parallèlement envisagé que le Japon transfère ses déchets radioactifs vers les États-Unis (!) afin que leur usine américaine de fabrication de Mox (mis en projet avec Areva, le bras armé sur le terrain du C.E.A) puisse absorber les tonnes de plutonium générées par les réacteurs nucléaires civils japonais.

cbi-areva-logo.jpgAutrement dit : donner aux USA un nouveau stock de plutonium pour fabriquer encore plus de bombes atomiques. Ou déléguer au Japon ce rôle. Le secrétaire américain à l‘Énergie Ernest Moniz est plus que satisfait. “Le Japon soutient l’appel de notre président pour la sécurisation des matières nucléaires sensibles et pour la construction d’une industrie de l‘énergie nucléaire durable à l‘échelle mondiale”, a-t-il dit. Voilà qui est clair et fissure l'image que les médias occidentaux tentent de donner de ce bon Mr Obama.

Le Japon modifie sa Constitution au nom du renforcement de l’alliance nippo-américaine

Deux événements viennent illustrer cette stratégie guerrière et atomiste de l'Occident et de son allié japonais : le vote le 20 juin 2012 au Japon d’un amendement à la "Loi fondamentale sur l’énergie atomique" qui indique à présent que « la politique de l’énergie nucléaire du Japon doit contribuer à la sécurité nationale ». Autre événement : le vote de plusieurs lois sur la sécurité qui accroissent les possibilités d’intervention des forces d’auto-défense japonaises dans des conflits à l’étranger. Au nom du renforcement de l’alliance nippo-américaine en matière de sécurité. Le ministre de la défense, reconnaissait d'ailleurs que ces lois ouvraient la « possibilité théorique » au Japon de transporter des armes nucléaires au cours d’opérations de soutien logistique...

Japon_Parlement.jpgLe cadre juridique d’une remise en cause du pacifisme sur lequel était fondée jusqu'à présent la Constitution japonaise est donc créé et permet dès lors au Japon de mettre son potentiel nucléaire au service de l'arme nucléaire avec la bénédiction des États-Unis. Un "argument" de poids dans le jeu démoniaque de la relance de la course aux armements et à la prolifération nucléaire. Dans ce contexte, l'aspiration des voisins du Japon à se doter du nucléaire ne peut qu'être insidieusement validée. La boucle est bouclée. La tension atomique et la mise en scène de menaces créent une possibilité d'affrontements guerrier nucléaires, fait pression sur l'ensemble des pays de la zone asiatique et offre des débouchés économiques avec de nouvelles sources de profits.

Des interrogations et des résistances à la dérive autoritaire atomiste

Les positions et dispositions pro-nucléaires et belliciste du gouvernement droitier de Abé suscitent des inquiétudes et des réticences aussi bien au sein de la population que parmi de nombreux "spécialistes" japonais.

manifestation_antinucleaire_Japon_fut-combinaison.jpgSelon plusieurs enquêtes d'opinion 53% des Japonais sont opposés aux nouvelles lois sur la sécurité et 57% se prononcent contre le redémarrage des centrales nucléaires et de la première, celle de Sendaï.

Dans le même temps l’un des juristes (Yasuo Hasebe de l’université Waseda) sollicité par la Chambre des représentants pour formuler un avis sur le caractère constitutionnel des nouvelles lois sur la sécurité a affirmé qu'elles « ébranlent la stabilité juridique » du pays et que « La distance est énorme, et à peine compréhensible du point de vue du sens commun, entre les mots et les termes employés dans le texte de loi, qui apparemment limitent le recours à la force au nom de l’auto-défense collective, et ce que le gouvernement essaie effectivement de faire. »

Un autre constitutionnaliste (Setsu Kobayashi de l’université Keio) s’interroge grandement sur une formulation utilisée dans les lois de sécurité stipulant que « les intentions, la capacité et l’importance de l’agresseur seront prises en considération avant de prendre la décision de recourir à la force » et estime que  « fondamentalement, cette formulation presse le public de donner carte blanche au gouvernement en ce qui concerne les opérations militaires, en s’en remettant au hasard. Ce qui est l’idée d’une dictature. »

prof-yasuo-hasebe-dari-universitas-waseda_Japon.jpgYasuo Hasebe poursuit dans le même sens à propos des déclarations du vice-président du "Parti libéral démocrate" (Masahiro Komura) pour qui s'en tenir à la lettre de la Constitution serait un excès « les constitutionnalistes ne manquent jamais de s’en tenir aux termes de l’article 9 de la Constitution. » Hasebe pose publiquement la question : « Cela signifie-t-il que M. Komura est prêt à exercer le pouvoir politique sans s’en tenir à la Constitution ? Ce serait assez inquiétant ». Un doute d'autant plus justifié qu'un des conseillers privés du Premier ministre (Osamu Nishi, juriste de l’université de Komazawa) affirme que « le débat constitutionnel ne consiste pas à prendre des décisions à la majorité. » Un petit relent de dictature plane dans l'air.

Le national-nucléarisme impose son ordre mortifère

Contre l'avis de la majorité de la population (toujours pas sollicitée par un vote) et contre les réserves expresses formulées par de nombreux juristes les lois sécuritaires nationalistes ont malgré tout été votées et le réacteur atomique n°1 de Sendaï a été redémarré (mais heureusement arrêté depuis pour cause de réveil volcanique à proximité).

fukushima-Daichi.jpg"Pérenniser les nuisances afin de pérenniser la domination, tel est un des principes de base du national-nucléarisme." a donc pu décrypter le chercheur au CNRS Thierry Ribault (1) en précisant " C’est sous le signe du chantage que s’est effectué le redémarrage du réacteur n°1 de la centrale nucléaire de Sendaï, chantage dont les différentes formes ont été menées de front par une administration Abe qui entend adapter la vérité à la réalité, cette réalité toujours présentée par le pouvoir comme immuable afin de garantir le plein exercice de l’autorité. De fait, il s’agit, par là même, de renoncer à façonner la réalité à l’image de la vérité et, pour la population, de se soumettre à la tyrannie."

Aussi les forces dominantes économiques et leur premier ministre libéral Abe se livrent à des contorsions de propagande en assurant par ailleurs aux victimes des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki (les Hibakusha) que tout sera fait pour « éviter la guerre » et sauver la liberté. Et ce, grâce à cette révision de l’article 9 de la Constitution. Tout en évitant de mentionner dans son discours des cérémonies de commémoration des 70 ans du bombardement atomique de Hiroshima, et pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir, toute référence aux « trois principes non nucléaires » auxquels le Japon s’est officiellement engagé au lendemain de la seconde guerre mondiale : non-détention, non-production et non-importation d’armes nucléaires définitivement bannies du pays.

" Il s’agit là d’un élément supplémentaire participant de l’opération de racket national auquel se livre l’État japonais, qui consiste à obtenir, de façon frauduleuse ou en menaçant de violence et avec le consentement des victimes, le renoncement à toute forme d’action collective ou personnelle qui pourrait venir contrecarrer son autoritarisme." décrypte le chercheur au CNRS.

manifestation_antinucleaire_Japon.jpgIl ne reste plus qu'aux représentants des associations de citoyens et des victimes de la bombe à espérer " qu’une telle omission ne marque pas un virage vers la guerre » et à continuer de manifester leur « espoir de voir naître un monde sans armes atomiques ». Mais, tout comme les 160 manifestants de Satsumasendaï venus s’opposer au redémarrage du réacteur n°1 de Sendai soutenus par l’ex-Premier ministre Naoto Kan devenu anti-nucléariste depuis 2011, les citoyens auront-ils la capacité de peser sur les orientations politiques dans le cadre imposé par le pouvoir.

L'ordre dominant règne et le pouvoir de coercition économique ligote les peuples. La notion même de "démocratie" à la sauce capitaliste est devenue un leurre sur l'ensemble de la planète.

Résignation, espoir, lâcheté ou Résistance ?

bombe-atomique_japon.jpgL’espoir est « un autre mot pour dire lâcheté », et c’est de l’intime connaissance de cette identité dont les maîtres chanteurs du nucléaire tirent toute leur force. "Tant que leurs opposants auront de l’espoir, ils resteront effroyablement inoffensifs " précise Thierry Ribault. « Qu’est-ce au fond que l’espoir ? Est-ce la croyance que les choses vont s’améliorer ? » s’interrogeait déjà Günther Anders dans un entretien sur « L’état d’urgence et la légitime défense », un an après la catastrophe de Tchernobyl. La réponse qu’il apportait alors vaut tout autant aujourd’hui qu’hier : « Il ne faut pas faire naître l’espoir, il faut l’empêcher. Car personne n’agira par espoir. Tout espérant abandonne l’amélioration à une autre instance. »
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(1) Thierry Ribault est chercheur au CNRS (Clersé-Université de Lille1). Il est co-auteur, avec Nadine Ribault, de "Les sanctuaires de l’abîme – Chronique du désastre de Fukushima",aux Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, Paris, 2012. - source : https://lejournal.cnrs.fr/billets/nucleaire-le-triple-chantage-du-gouvernement-japonais
(2) "Alors que le Japon a un bilan déplorable en matière de déchets nucléaires, aucun autre pays au monde n'a trouvé de solution économiquement viable et sûre pour réutiliser ces déchets et certainement pas le plutonium" (Dr Peter Wynn Kirby, spécialiste de l'environnement et du Japon à l'Université d'Oxford)
(3) En tant que sous-produit de la combustion de l'uranium, le plutonium 239 de qualité militaire peut être produit par des surgénérateurs qui, en théorie, peuvent générer plus d'isotopes fissiles qu'ils n'en consomment, ce qui signifie une chaîne de production continue