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Cruas_Meysse_reacteur_nr4_batiment_confinement_simple_enveloppe_11_10_2013.jpgC'était dans la poche, c'était du tout cuit. Tout avait été cogité et pensé, bien planifié et bien maîtrisé. On jouait sur du velours. Déjà dans les hautes sphères on se frottait les mains, salivant à l'idée qu'en changeant de la tuyauterie et la plupart des pièces d'un réacteur nucléaire - à l'exception tout de même de la pièce principale, la cuve, et de l'enceinte de confinement garante d'une sécurité aléatoire qui elles ne sont pas changeables - on prolongeait encore de dix années chaque réacteur délabré et en fin de vie. Et on produisait produisait produisait encore et toujours plus de kwh nucléaires, de profits et de déchets mortels. Tout en empêchant le développement conséquent d'autres sources d'énergies. Il faut bien faire la bombe.

On avait réussi à vendre cette fable aussi bien au gouvernement qu'à l'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) et ça faisait plaisir à voir ou bien froid dans le dos, c'est selon, tous ces sourires goguenards des confrères nucléaristes dominants. Pour quelques milliards d'euros  - la plupart empruntés car à EDF on est au bord de l'asphyxie financière tout de même - Rossinante devenait un pur-sang.

Pourtant ces travaux ne pourront jamais répondre au délabrement des centrales atomiques.

Faire tourner les réacteurs nucléaires pour trente années de plus : démoniaque !

Les réacteurs nucléaires qui auraient du être mis au rebut déjà au terme des 25 ans initiaux (soit pour les premiers autour de 2005) mais qui avaient déjà été prolongés à 30 ans, non sans risques et incidents à répétition mais pour leur amortissement financier, retrouvaient sur le papier une jeunesse à faire pâlir le moindre Tepco nippon.

Las! le sacro-saint "retour d'expérience" commence à virer au fiasco. Et le rêve de faire turbiner chaque réacteur pour trente années supplémentaires s'envole. Notamment celui du Directeur Délégué à la Production Ingénierie du groupe EDF (par ailleurs Président de la courroie de transmission SFEN) qui présentait récemment devant une commission d'enquête parlementaire le « Grand Carénage » en affirmant aux élus : " Des investissements sont donc nécessaires autour de trente ans. Une fois réalisés, ils permettent de fonctionner techniquement pendant environ trente nouvelles années ". Sans évidemment demander l'avis aux français s'ils veulent poursuivre dans la voie suicidaire du nucléaire.

Loin de la coupe aux lèvres.

Générateurs de vapeur, turbines, transformateurs, échangeurs, etc..., ce sont plusieurs éléments et pièces qui sont donc en cours de remplacement sur de premiers réacteurs en déliquescence et mis à l'arrêt. Celui de Cruas (1) en Ardèche, le n° 4 connecté au réseau le 1er octobre 1984, est un pionnier en la matière et mal lui en a pris. Il est bien loin de ce qu'affirmait EDF devant les parlementaires : « D'un point de vue technique, j'ai confiance que 100 % de nos réacteurs peuvent aller jusqu'à 60 ans » (Dominique Minière, Directeur Délégué à la Production Ingénierie du groupe EDF).

Cruas-Meysse-4_generateur-vapeur_Mitsubishi.jpgCommencé en mars 2014 le "carénage"de Cruas s'est achevé fin juin 2014 soit en à peine 4 mois. Rapide, trop rapide techniquement et humainement selon les spécialistes. Et mauvais, très mauvais pour la balance commerciale et "l'indépendance" du pays car l'essentiel des grosses pièces, les Générateurs de vapeur, proviennent... du Japon et sont fabriqués par Mitsubishi à Kobe. Les GV pèsent 300 tonnes et mesurent plus de 20 mètres de long chacun. Rien que pour le réacteur n°4 la facture voisine les 140 M€. EDF a fait le choix de se fournir au Japon, peu rassuré, après les défauts rencontrés pour l'EPR de Flamanville, sur les fabrications françaises notamment d'Areva.

Et la roulette-russe atomique du grand rafistolage  commence ...

Augmentation dangereuse de la température. Le 17 juin 2014, suite à un arrêt qualifié de "maintenance et rechargement" du réacteur n°4, pour une modification du circuit d’alimentation de secours des générateurs de vapeur, on constate qu'un ventilateur du système de ventilation des locaux électriques tourne à l’envers rendant indisponible différents systèmes importants pour la sûreté, dont le système de ventilation. Une augmentation dangereuse de la température se produit. (7)

Arrêt d'urgence du réacteur. Le 28 juin 2014, alors que redémarrait le réacteur n°4 suite à un arrêt qualifié encore une fois de "maintenance et rechargement" , un défaut électrique lors de la réalisation d’un essai périodique déclenche par erreur le circuit d'injection de sécurité (servant au refroidissement du cœur du réacteur) ce qui entraîne l'arrêt en urgence du réacteur.(6)

Cruas_ville-fleurie.jpgDéfaillance simultanée de plusieurs capteurs de mesure de pression au niveau de la turbine. Le 4 août 2014, après le redémarrage du réacteur 4 suite à un arrêt qualifié encore une fois de "maintenance et rechargement" des produits de fission nucléaire, les gaines des crayons radioactifs situés dans le cœur du réacteur, qui constituent la première barrière de confinement entre les produits radioactifs et l’environnement, sont menacées. Des défaillances simultanées de plusieurs capteurs de mesure de pression de la turbine entraînent une sur-augmentation en flèche  de la puissance du réacteur. C'est l'emballement. Alors que les essais préalables ne sont pas terminés la puissance nominale de fonctionnement du réacteur dépasse ses 90% (5). Cet "incident"  été classé au niveau 1 sur l'échelle INES.

Circuit défaillant de contournement de la turbine. Quelques mois plus tard, le 25 novembre 2014, la sûreté de l'installation est menacée. Cette fois-ci par l’indisponibilité partielle du circuit de contournement de la turbine du réacteur n°4. Ce circuit de contournement permet de limiter la pression dans le circuit secondaire et de contrôler le refroidissement du circuit primaire en rejetant la vapeur directement dans l’atmosphère. (4) Cet "incident"  est classé au niveau 1 sur l'échelle INES.

Coupure intempestive de l'alimentation des systèmes de sauvegarde. Le 30 mars 2015 pendant 3 heures les systèmes de sauvegarde du réacteur n°4, utilisés en cas d’incident ou d’accident pour refroidir le cœur du réacteur, ne sont plus alimenté que par une seule source électrique. A partir de 23h et jusqu'au petit matin, EDF n'est plus capable de rétablir l’alimentation via le réseau électrique national. (3) Cet "incident"  a été classé au niveau 1 sur l'échelle INES.

Reacteur_4_scram_et_redemarrage_CN_Cruas_Meysse_28_10_2014.jpgSamedi 18 juillet 2015, vers 19 heures, c'est à nouveau la mise à l’arrêt du réacteur atomique n°4. EDF ne laisse rien filtrer et tente de rassurer « Cet arrêt, de courte durée, est programmé afin de réaliser des interventions sur différents matériels situés en salle des machines » (11). Plus vague que cela, tu meurs et, au passage, le nucléariste s'assoie allègrement sur la loi TSN (Transparence et Sécurité du Nucléaire) qui stipule que "Toute personne a le droit, dans les conditions définies par la présente loi et les décrets pris pour son application, d'être informée sur les risques liés aux activités nucléaires et leur impact sur la santé et la sécurité des personnes ainsi que sur l'environnement, et sur les rejets d'effluents des installations" . A noter que le réacteur n°1 est lui aussi en arrêt "programmé" pour ... des opérations de maintenance.

Après le grand-carénage/rafistolage du réacteur n°4 : l'ASN se sent un peu grugée et panique

L'avis de l'ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) est tranchant. Tirant le bilan de l'année écoulée (2014), elle constate que "le site devra ... progresser en matière de préparation des interventions de maintenance et de maîtrise des "non-qualités" de maintenance. ("non-qualités" : terme pudique des nucléocrates pour désigner les défauts, manquements, failles, erreurs et autres défaillances mettant en danger la centrale atomique, les salariés , la population voisine et les territoires alentours). L’ASN a également relevé des écarts en matière de surveillance des activités confiées à des intervenants extérieurs."

2012-03-31_Intervention-Antinucleaires_Fete-Rose.jpgEt de préciser qu'on est bien loin à Cruas de l'idyllique paradis atomiste vanté par les élites : " En matière de protection de l’environnement, l’ASN considère que la centrale nucléaire de Cruas-Meysse est en retrait par rapport à l’appréciation générale portée sur EDF. L’ASN constate que l’année 2014 a révélé des lacunes en matière de rigueur, aussi bien dans la gestion des déchets, l’exploitation des aires d'entreposage que dans la gestion des rejets. Ceci s’est notamment matérialisé par la déclaration d’environ trois fois plus d’événements significatifs pour l’environnement que les précédentes années. Le site devra porter ses efforts sur la culture environnementale de ses équipes et sur le respect des exigences réglementaires associées. Enfin, la gestion insatisfaisante des déchets dans l’installation grève également la prévention du risque d’incendie du fait d’une gestion inadéquate des charges calorifiques." (2)

Comme par exemple ce 11 mars 2014, l'ouverture intempestive de la porte d'accès au "puit de cuve" du réacteur n°4. Là, comme d'habitude, l’accès au local « puits de cuve » qui présente potentiellement un haut niveau d'irradiation doit, pour des raisons impérieuse de sûreté, être fermé lorsque la température du circuit primaire de refroidissement est supérieure à 90°C. Mal en a pris aux prestataires extérieurs qui devaient effectuer un contrôle télévisuel : l’accès au puits de cuve a été ouvert de 13h30 à 16h alors que la température n'était pas redescendue sous la barre des 90°. Cet "incident"  est, lui aussi, classé au niveau 1 sur l'échelle INES.(8)

Etat enceinte confinement simple enveloppe (fissures, fentes, délitement) réacteur nr2 centrale  nucleaire EDF de Cruas-Meysse FranceLes autres réacteurs n°1,2 et 3 de la centrale atomique de Cruas   (notre photo : état délabré de l'enceinte de confinement du réacteur n°2 de Cruas) n'ont pas été en reste en matière d'incident à risques pour la sécurité du site nucléaire et des territoires alentours. (9) Toutes les personnes qui passent dans les environs de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse peuvent se rendre immédiatement compte de l’état de fonctionnement de la centrale nucléaire par rapport aux comparatifs des panaches des tours de refroidissement. (Un reportage filmé vient d'être réalisé dans des conditions difficiles et est accessible aux seuls abonnés de NU-organisaton; il devrait être prochainement libéré en consultation libre. )

Des conditions déplorables

Afin, une fois encore, de minorer les coûts d'entretien classique et de ce grand rafistolage, EDF met la pression sur les délais de réalisation. Il faut faire vite car chaque jour d'arrêt de tranche coûte... un million d'euros ! Et en faisant appel à la sous-traitance plus malléable et moins bien formée, comme le dénonçait déjà en son temps la Fédération CGT de l'énergie : "voilà plus de 10 ans que la Division de la Production Nucléaire (DPN) a fait le choix d’externaliser la maintenance des arrêts de tranche à hauteur de 80 %... sans se préoccuper des conséquences ni sur la vie des personnels ni sur l’état réel de l’outil de production ". (10)

Crusa_Sous-traitance-securite-sante.jpgA telle enseigne que l'ASN précise et dénonce une situation inadmissible et dangereuse sur 2014 : " le site continue de présenter des fragilités en matière d’accès des travailleurs dans les zones présentant de forts enjeux dosimétriques. Par ailleurs l’ASN considère que le niveau de propreté radiologique n’a pas été satisfaisant lors de la visite décennale du réacteur 3. Du point de vue de l’hygiène et sécurité au travail, l’ASN constate qu’après des résultats encourageants en début d’année en matière d’accidents du travail, le taux de fréquence et le taux de gravité se sont dégradés à partir de l’été."

Grand rafistolage : de Charybde en Scylla pour quelques milliards d'euros de plus

Cruas_Meysse_enceinte_confinement_reacteur_4_grand_carenage_generateur_vapeur_Flyer_21_07_2014.jpgAinsi les réacteurs nucléaires rafistolés ne connaîtront véritablement aucune amélioration de leur sûreté car face au processus de destruction de l'atome aucune sécurisation technique ne peut exister.  Conclusion : des sommes colossales auront été gaspillées en vain, le prix du kwh d'électricité nucléaire continuera de grimper (EDF demande au gouvernement une augmentation des tarifs de 50%) , les souffrances humaines s'aggraveront, de nouvelles contaminations quotidiennes atteindront la population et les terres cultivables, un accident majeur liquidera tout avenir.

En projetant la réalité de l'écart de coût subit par l'EPR de Flamanville (prévisionnel x3) le coût prévisionnel du "grand carénage" annoncé par les spécialistes d'EDF à hauteur de 55 milliards d'ici 2025 risque fort de voisiner les ... 150 milliards. A ce jour la Cour des comptes table déjà sur le double de ce qu'a annoncé EDF soit 110 milliards.

Il fallait s'y attendre : dans "grand carénage" il y a carénage, un terme emprunté à la marine. Histoire de prévenir que tout le monde serait mené en bateau.

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article téléchargeable en . pdf ici

photos DR et nextup organisation

(1) La centrale atomique de Cruas comporte 4 réacteurs à eau sous pression d'une puissance de 900 Mwe chacun. Les réacteurs n°1 et 2 constituent l'installation nucléaire de base (INB) n°111, les réacteurs n°3 et 4 constituent l'installation nucléaire de base (INB) n°112.

(2) http://www.asn.fr/L-ASN/ASN-en-region/Division-de-Lyon/Centrales-nucleaires/Centrale-nucleaire-de-Cruas-Meysse

(3) http://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Avis-d-incident-des-installations-nucleaires/Double-alimentation-electrique-permanente-des-systemes-de-sauvegarde-du-reacteur-n-4

(4) http://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Avis-d-incident-des-installations-nucleaires/Indisponibilite-partielle-du-circuit-de-contournement-de-la-turbine

(5) http://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Avis-d-incident-des-installations-nucleaires/Depassement-du-gradient-de-montee-en-puissance-du-reacteur-4

(6) http://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Avis-d-incident-des-installations-nucleaires/Non-respect-d-une-conduite-a-tenir-prevue-par-les-specifications-techniques-d-exploitation

(7) http://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Avis-d-incident-des-installations-nucleaires/Non-respect-d-une-mesure-compensatoire-prevue-par-un-accord-de-l-ASN

(8) http://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Avis-d-incident-des-installations-nucleaires/Ouverture-de-la-porte-d-acces-au-puits-de-cuve

(9) http://www.asn.fr/L-ASN/ASN-en-region/Division-de-Lyon/Centrales-nucleaires/Centrale-nucleaire-de-Cruas-Meysse/%28rub%29/103392

(10) Les sous-traitants de l’industrie nucléaire subissent 80 % de l’exposition à la radioactivité sans suivi médical adéquat. Ils dénoncent la dégradation de leurs conditions de travail et cadences insoutenables qu’ils subissent ainsi que la mie en cause de la sécurité.

(11) http://www.ledauphine.com/ardeche/2015/07/20/centrale-nucleaire-l-unite-n-4-en-arret-programme