CANSE

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8h30 - Après la nuit passée au  bord de la rivière Ardèche, les marcheuses et marcheurs de la vie prennent la direction de Pont-Saint-Esprit (Gard) là où la veille, ils ont distribué sur le marché du samedi leurs tracts et rencontré la population locale. Nous sommes à présent le 4 mai et, depuis le début de marche commencée il y a 9 jours maintenant près de 260 kilomètres ont été parcourus par les combattants pacifistes.

Plusieurs dizaines de milliers d’automobilistes ont croisé leur route et pris connaissance de leur motivation. Ce n’est pas rien. Difficile pour ceux-ci de prétendre à présent qu’ils « ne connaissaient pas les atteintes atomiques à la vie et à la santé »

10h00 –  Le petit village de La Motte-du-Rhône est traversé. Pas âme qui vive ici. Pas de commerce, une mairie c’est tout. Le vent souffle de plus en plus fort et les marcheurs ont bien du mal à tenir leurs étendards à bout de bras. Les bourrasques qui atteignent près de 80km/h les déportent dangereusement vers la chaussée où les automobilistes eux-mêmes peinent à garder la bonne trajectoire. Certains encouragent les marcheurs et marcheuses par quelques rythmes klaxonés « ce n’est qu’un début, continuons le combat ». D’autres lèvent la main en V, d’autres encore le poing serré.Tous ne soutiennent pas les marcheurs, bien sûr. Il y a aussi les ronchons, les apeurés, les m'as-tu-vu qui fanfaronnent en montrant leur dosimètres accrochés à leur cou, comme pour conjurer leur propre finitude et manque de perspective. Ils sont très minoritaires de nos jours. Comme une survivance fissurée du passé.

Les marcheurs, fragmentés en petits groupes, tentent d’affronter les rafales déstabilisantes. Au loin apparaissent les tours réfrigérantes, à l’arrêt, de la centrale du Tricastin. Les réacteurs eux sont maintenus en activité malgré les incidents à répétition et la vétusté des installations.

Désormais le premier carrefour d'entrée de ville est occupé. Les automobilistes ralentissent, les drapeaux claquent au vent, les interpellations fusent, les signes de soutien s'affichent. Encore des complicités qui s'établissent spontanément. Le rond-point est libéré, la marche reprend vers son objectif : Bollène.

11h20 – Le pont qui enjambe « l’autoroute du soleil » est maintenant orné de drapeaux "siglés" du logo radioactif barré de rouge. En contre-bas un concert de klaxon s’élève des voitures qui remontent vers le nord ou qui descendent vers le midi. Le message passe : « arrêt immédiat du nucléaire ». Un flot ininterrompu de vacanciers regardent ces drôles d’oiseaux blancs et jaunes survoler leurs voies de circulation.

A quelques kilomètres de la ville, les gendarmes viennent au contact des antinucléaires. Attitude correcte, voire complice. Étonnant changement après les attitudes hostiles voire agressives de certains jours passés. Ne désespérons pas. La discussion s'engage sur le nucléaire, la destruction atomique, le fonctionnement d'une centrale nucléaire (beaucoup de risques et d'atteintes pour simplement faire bouillir de l'eau et faire tourner une dynamo qui produira un peu d'électricité),...

11h40 – Le  grand rond-point d’entrée de ville, qui dirige vers Bollène ou vers le site nucléaire, est aussi celui d’entrée et sortie de l’autoroute. Il est rapidement atteint et investi par les drapeaux du CAN84 et de la marche antinucléaire. D’un commun accord les marcheurs décident d’investir le péage. Chez eux, pour prendre une décision, nul n’est besoin d’aller de réunion en réunion, de synthèse en majorité, de minorité en argumentation sans fin.

C’est sur le terrain par ceux qui sont présents et qui agissent que l’action est décidée. Pas de chef ou de leader, pas de hiérarchie autoproclamée ou délégataire, par d’encadrement et de structure infantilisante. Chacun, chacune compte pour un-e, chacun-e est responsable et à égalité de réflexion et de choix, ceux qui veulent prendre part à l’action le font, ceux qui ne le souhaitent pas s’abstiennent sans nuire pour autant à ce que l’autre entreprend. Il s’agit ici, aussi, d’une école de la vie, école de sagesse et de tolérance, de respect profond et d’accueil des différences, de transformation et d’espoir. Pas, aucun rapport de force entre les participants, pas de pouvoir à conquérir, pas d’ego à rassurer et à sur-jouer, toute l’énergie est dirigée vers un seul but : porter des coups au lobby nucléaire et à ses complices politiques, arrêter immédiatement le massacre nucléaire.

12h00 – Le péage est investi. A chaque couloir se postent un ou plusieurs marcheurs. Certains déploient des drapeaux, d’autres distribuent des tracts aux automobilistes qui pénètrent en Vaucluse. « Bienvenue dans la région la plus nucléarisée d’Europe » : les vacanciers ou résidents du coin sont quelque peu interloqués. On pensait venir au pays de la lavande et de l’aïoli, en Provence et au soleil, et voilà qu’on se trouve confronté à une autre facette de la réalité tenue bien à l’écart par les autorités et les médias institutionnels. Dans les véhicules, les enfants, assis sur la banquette arrière, interpellent leurs parents : « c’est quoi le nucléaire et la radioactivité ? ». Les parents se voient investis d’un rôle qu’ils n’avaient pas forcément envisagé. Répondre au « pourquoi ? ». Pourquoi vous avez laissé faire cela ? Pourquoi peu de personnes s’élèvent contre cette activité mortelle ? Pourquoi ? Quelle est la contre-partie en face des déchets radioactifs et maladies que vous nous laissez, à nous, vos enfants ?

13h00 – Bollène Centre-ville est atteint. Bollène ville-morte. Un dimanche ordinaire en Provence au mois de mai. Pause repas et occasion de soigner les crampes et bobos. Un peu plus loin le site nucléaire du Tricastin tourne au ralenti mais continue de produire, heure après heure, ses déchets radioactifs, et à rejeter dans l’eau du canal de Donzère-Montdragon l’eau que la centrale a prélevé en amont pour pouvoir refroidir ses réacteurs. Demain les antinucléaires pour la vie seront au pied du complexe militaro-civil. A la rencontre des salarié(e)s. A droite la centrale EDF et ses 4 réacteurs à bout de souffle, à gauche le complexe Areva d’enrichissement de l’uranium et de bien d’autres activités mortelles, au fond le CEA et ses installations militaires à l’arrêt mais qui poursuivent leur œuvre sournoise de mort. Une digue de déchets est entreposée là en catimini depuis des décennies, au long du canal emprunté chaque année par des milliers de bateaux et péniches. En toute illégalité. Mais le pouvoir du lobby nucléaire est tel en France que tout lui est permis avec la bénédiction de l’appareil d’État.

 

15h00 – Les marcheurs retournent au péage où une file ininterrompue de vacanciers sur le retour crée un serpentin sans fin. Bonne pioche financière pour la société privée qui a obtenu cette vente du patrimoine public de la part du gouvernement Villepin. Les tracts passent de main en main, des signes de soutien sont manifestés aux marcheurs. De nouveau, des touristes incrédules : jamais on ne leur avait dit que la vallée du Rhône et de la Durance était la plus nucléarisée d’Europe. Pour le savoir il aurait suffi d’être un tant soit peu curieux du réel. Mais on ne l’a pas été. Un clic sur internet et aujourd’hui on peut s’informer simplement et plus librement que sous la férule des médias officiels publics ou privés. Mais non.

Les antinucléaires pour l’arrêt immédiat stimulent aussi les méninges et secouent le cocotier de la bien-pensance, une façon de sortir la population de sa léthargie et de son renoncement. Car ceux et celles qui marchent ne se résignent pas, ne jugent pas non plus ceux qui se sont assoupis et englués dans la logique du système : ils leur ouvrent une porte de ré-humanisation, de compréhension, de "reliance", de dégagement à la soumission idéologique des dominants et, surtout, l’espoir. Oui il est possible de mettre fin à l’abomination de la destruction atomique, oui un autre monde est possible, oui c’est avec le nucléaire que la facture d’électricité augmente pour chaque foyer, oui 25% des réacteurs nucléaires en France ne fonctionnent pas pour fournir de l’électricité à la population et aux entreprises mais uniquement pour alimenter le cycle de production du nucléaire et le business de l’exportation. Possible de les fermer du jour au lendemain sans que cela n’impacte la vie des français.

16h30 – L’heure est venue de reprendre la route. Quitter Bollène, prendre la route de Nyons et se diriger vers le lieu d’accueil du soir : la ferme bio "la Peyrelonne". La famille avait déjà accueilli la marche 2013 et renouvelle son hospitalité cette année encore. Merci. Chacun-e plante sa tente, le véhicule de cantine se gare, celui d’assistance technique aussi. Chacun trouve sa place comme cela l’a été à chaque étape et chaque jour. Un peu comme un chant polyphonique dans lequel chacun, dans sa gamme, participe à l’harmonie commune. Il s’agit d’une œuvre humaine, ciselée au gré des instants. Une fraternité en marche. Dans ce contexte : impossible pour les mauvais coucheurs extérieurs – officiels ou non – de gagner.

20h00 – Le repas achevé, le quartet musical des « Bure Haleurs » offre une soirée enjouée et de joie. La journée de demain marquera la fin de la marche 2014 pour la vie. En un lieu qui chaque jour menace la Provence et la France : Tricastin triste catin.