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Jeudi matin à Rouen, au tribunal de police, se tient une audience judiciaire dont les enjeux concernent toute la filière nucléaire française : l'inspection du travail de la région Haute-Normandie poursuit la société Endel, spécialisée dans la maintenance industrielle, filiale de GDF-Suez, pour non-déclaration d'un accident du travail. Derrière la cas particulier de Dominique Samson, 53 ans, soudeur contaminé en novembre 2007 alors qu'il remplaçait un robinet sur une canalisation de la centrale de Paluel, c'est le procès du défaut de surveillance sanitaire et social des sous-traitants de la filière qui s'ouvre.

Le 6 novembre 2007, ce salarié d'Endel est en train de souder un robinet sur un tuyau du bâtiment réacteur de la centrale de Paluel, grosse installation d'EDF en Haute-Normandie, sous la protection d'un « déprimogène », appareil qui sert à aspirer les particules radioactives. Mais soudain, la machine, branchée deux étages plus bas, s'arrête : « Le temps que je me dégage, en quelques secondes je me retrouve contaminé », raconte aujourd'hui Dominique Samson.

L'arrêt de la machine l'expose en effet immédiatement aux radio-éléments émis par l'opération. Que s'est-il passé ? La machine qui le protégeait a été débranchée. « Aussi incroyable que cela puisse paraître, on manque de prises dans les centrales nucléaires, explique-t-il, les bâtiments réacteurs sont labyrinthiques, avec des gens partout, qui ne voient pas ce que font les uns et les autres. »

Une fois le déprimogène rebranché par ses soins, Dominique Samson achève sa tâche. En quittant la « zone contrôlée », c'est-à-dire le périmètre radioactif de la centrale, il passe sous un premier portique de sécurité, le « C1 ». Il sonne, signal qu'il est porteur de radioactivité. Le soudeur ne peut pas sortir. Il se déshabille, et passe sous un second sas de contrôle, le « C2 », qui détecte alors une contamination externe, c'est-à-dire la présence de particules radioactives sur ses cheveux et sur son visage. Il est conduit à l'infirmerie, décontaminé à l'aide d'un jet et de shampoings. Mais il est déjà trop tard pour éviter la contamination corporelle interne : le contrôle dit « d'anthropométrie » révèle la présence de particules de cobalt 58 et 60, un isotope radioactif, ainsi que d'antimoine, un métalloïde, dans son organisme.

Le collègue avec lequel il travaillait en binôme, un tuyauteur, est lui aussi contaminé. « On m'a dit que ce n'était pas grand-chose ce que j'ai pris, que c'était en dessous du seuil de quarantaine, mais ça ne m'a pas vraiment rassuré. J'ai un collègue qui souffre aujourd'hui d'un cancer du poumon alors qu'il n'a jamais fumé. » Soudeur depuis 30 ans, il gagne 1300 euros net par mois.

Des accidents jamais déclarés

Dans les 48 heures qui suivent, l'exposition de ces deux salariés aux radionucléides n'est pas déclarée par Endel comme accident du travail auprès de la Sécurité sociale. Furieux, Dominique Samson prend alors l'initiative, par le biais d'un représentant du personnel, d'alerter l'inspection du travail sur cette non-déclaration. En octobre 2009, Endel est condamné à une contravention de 135 euros pour défaut de déclaration. Mais le soustraitant de GDF-Suez s'oppose à cette ordonnance pénale. Et le litige se retrouve devant le tribunal de police de Rouen.

Pour Camille Lasoudris, avocate de Dominique Samson : « C'est inadmissible. Habituellement, lorsque l'inspection du travail demande à une employeur de déclarer un accident du travail, il le fait. » Concrètement, cette déclaration d'accident du travail n'aurait pas de conséquence immédiate pour Endel. Mais elle faciliterait les démarches du salarié s'il déclarait dans les années à venir une maladie qui pourrait être liée à l'événement de novembre 2007.

Aveu de non-déclaration

Mais pour Endel, dont Mediapart a joint un responsable de la communication : « Ce n'est pas un accident du travail car il n'y a pas eu de lésion corporelle constatée au moment des faits. » Pour sa défense, Patrick Saussaye, directeur d'agence d'Endel, et employeur de Dominique Samson, explique à la justice que « jusqu'à maintenant ce genre d'accidents n'a jamais fait l'objet de déclaration d'accident du travail ».

Pourtant, des contaminations, il s'en produit dans les installations nucléaires. Si souvent que les syndicats ont alerté la direction d'EDF, qui exploite la grande majorité des centrales françaises, à ce sujet. Que répond l'électricien ? Dans une note interne de 2008 que Mediapart s'est procurée, on découvre qu'EDF demande aux directeurs de centrale de ne pas déclarer comme accidents auprès de l'assurance-maladie les contaminations externes, même en cas de « suspicion de contamination interne », ni les irradiations externes dont la dose reçue est inférieure à la limite réglementaire (voir le document ci-dessous): 

Par Jade Lindgaard, Médiapart , 15 juin 2011

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* de la région Haute-Normandie

** en Seine-Maritime.